Archives départementales des Yvelines

Abrégé d'histoire de France de Louis XV

Portrait de Louis XV par Augustin-Oudart Justinat
Portrait de Louis XV par Augustin-Oudart Justinat

Musée national de Varsovie.

Le tricentenaire du couronnement de Louis XV et du retour de la cour à Versailles offre l’occasion de présenter un des fleurons de nos collections, L’abrégé de l’histoire de France, ensemble de recueils écrits au jeune roi à la demande d’André-Hercule de Fleury, son précepteur. Témoignage important, cet ouvrage manuscrit constitué de 5 volumes permet de comprendre l’idée que Fleury se faisait de la « politique, art royal », mais aussi les principes qu'il inculqua à son royal élève et qui devaient durablement le marquer, puisque Fleury, principal ministre entre 1726 et 1743, eut l'occasion de les mettre en application.

Favorisant l’approche chronologique par règne, le récit couvre deux dynasties appelées à l’époque « races » : les Mérovingiens et les Carolingiens. L’ouvrage est ici consultable dans son intégralité avec un accès facilité par chapitre.

L’Abrégé retrouvé

Intégrant dès son origine la bibliothèque du roi, l’Abrégé de l’histoire de France suit Louis XV lors de son installation à Versailles à partir de 1722. Au moment de la nationalisation des biens patrimoniaux au cours des premières années de la Révolution, les ouvrages issus des collections royales sont répartis selon leur nature et leur intérêt entre les nouvelles bibliothèques publiques. Le caractère juvénile de l’Abrégé n’éveille pas la curiosité des bibliothécaires en charge de cette organisation. L’ouvrage est finalement oublié, délaissé avec des exemplaires en double que récupère, au début du XIXème siècle, le préfet de Seine-et-Oise pour orner dignement sa bibliothèque. Suite à la réquisition des résidences et bâtiments administratifs par les Prussiens en 1870, les Archives départementales récupèrent le manuscrit qui intègre la sous-série 1F comme de nombreuses pièces isolées exposées en préfecture. Son identification attendra plus d’un siècle. Elle sera initiée dans les années 1990 par Françoise Jenn, directrice des Archives des Yvelines et suite à son décès prématuré, poursuivie et approfondie par Chantal Grell, professeur, titulaire de la chaire d’histoire moderne à l’Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines. Cette étude fera l’objet d’une importante publication en 2004 puis d’un colloque consacré à l’éducation des princes, l’année suivante.

 

 

 

  

 

 

 

 

 

 

Le Cardinal André-Hercule de Fleury
Le Cardinal André-Hercule de Fleury

Portrait peint par François Albert Stiémart d'après Hyacinthe Rigaud.

Musée national des chateaux de Versailles et de Trianon

Fleury, prélat, précepteur puis ministre

Aumônier de la Reine puis de son époux, André-Hercule de Fleury n’avait pas les faveurs de Louis XIV. Le roi le positionna en 1699 sur le siège épiscopal de Fréjus, l’un des plus modestes diocèses de France, l’un des plus éloignés de la Cour. Pourtant au crépuscule de sa vie, en 1715, le monarque le choisit comme précepteur de son arrière-petit-fils, le duc d’Anjou, futur Louis XV. Le jeune prince alors âgé de cinq ans était devenu, suite à une épidémie qui décima la famille royale, l’unique héritier des Bourbons. Orphelin trop jeune, l’enfant ne put bénéficier de la vigilance d’un parent et l’équipe pédagogique choisie par Louis XIV, composée de vieillards, se montra incapable d’imposer des limites au jeune roi. Néanmoins, Fleury trouva les moyens d’amadouer son élève et de capter son esprit. Patient et pédagogue, le prélat assura la majeure partie de son éducation de sa septième à sa quatorzième année, durant toute la période de la Régence.

Son enseignement politique mettait l’accent sur la nécessité de maintenir la stabilité en Europe, de privilégier la paix dans le Royaume et de rétablir l’équilibre budgétaire dans les finances publiques. A la majorité du Roi et après la disgrâce du duc de Bourbon, Fleury, devenu cardinal, administra le pays en endossant le rôle de principal ministre à partir de 1726. Il refusa cependant d’en porter le titre. Sa politique économique remet à flot l'économie du pays, sinistrée à la suite des désastres financiers du règne précédent et des dérapages de la politique monétaire du Régent. En revanche, Fleury échoue dans sa tentative de maintenir la paix en Europe et doit s’engager à contre-cœur dans les guerres de Succession de Pologne (1733-1738) puis d’Autriche (1740-1748) dont il ne verra pas l’issue. Il décède le 29 janvier 1743. Huit ans plus tard, Voltaire, dans Le Siècle de Louis XIV soulignera les bénéfices de son action et son désintérêt personnel. Il est vrai, le prélat se refusa à profiter financièrement de sa position.

Louis XV enfant recevant une leçon, en présence du cardinal de Fleury et du Régent.
Louis XV enfant recevant une leçon, en présence du cardinal de Fleury et du Régent.

Ecole française (Anonyme), 18e siècle.

Musée Carnavalet, Histoire de Paris

L’Abrégé de l’histoire de France ou l’éducation politique de Louis XV

L’histoire joue un rôle important dans l’éducation des princes, notamment chez les Bourbons. La première initiation au pouvoir passe par l’étude des modèles, bons ou mauvais, laissés par les prédécesseurs, occasions de jugements sur l’art de bien gouverner.

L’Abrégé témoigne de l’importance que l’histoire occupait dans l’enseignement prodigué par André-Hercule de Fleury auprès du jeune roi. On sait que le prélat en fut le maitre d’œuvre grâce à une mention de ce travail rédactionnel dans une lettre adressée au pape, Clément XI, le 8 juin 1717 et à un premier manuscrit appartenant à Fleury conservé aujourd’hui à la Bibliothèque municipale de Cambrai (sous la cote A 743-745). Ce dernier s’achève au règne de Charlemagne contrairement à l’Abrégé qui s’arrête au dernier Carolingien.

L’Abrégé de Louis XV n’a rien d’un ouvrage d’érudition. Il présente avant tout un récit basé sur la connaissance historique de son époque. Fleury a savamment remanié cette histoire et réduit autant que possible la part du légendaire et du « romanesque », en faisant de l’austérité une vertu. Il conserve en revanche certains mythes relevant à ses yeux du patrimoine sacré de la monarchie et de la nation. Ainsi, il conserve en émettant toutefois quelques réserves, les trois premiers rois francs comme Pharamond dont l’existence a été remise en question à l’époque par le Père Daniel ; de même, le récit du baptême de Clovis et le miracle de la sainte ampoule utilisée ensuite au moment des sacres sont préservés afin de rappeler la nature divine de la royauté française. L’intervention de Dieu permettait d’ailleurs de légitimer la modification de l’ordre de succession : « C’est ainsi que, quand Dieu veut élever une famille au-dessus des autres, il fait naître des hommes extraordinaires, avec les talents proportionnés aux desseins de sa Providence » (Volume II, Childeric II, fol. 797).

Au travers du récit des règnes, l’évêque de Fréjus met l’accent sur la responsabilité personnelle des rois et les qualités nécessaires pour gouverner. Dans l’Abrégé, plusieurs rois s’érigent au rang de modèle comme Clovis, Childéric II et Charlemagne, tandis que d’autres illustrent toutes les erreurs qu’un souverain peut commettre. Fleury souligne ainsi la décadence qu’incarnent les rois fainéants et le règne calamiteux de Louis dit le débonnaire. Il écrit dans ce dernier chapitre : « J’ai cru, sire, qu’il était nécessaire de vous faire connaitre à fond le caractère de Louis, et de peindre au naturel ses défauts afin que votre majesté, voyant les malheurs où il tomba par sa faute, pût apprendre de bonne heure à s’en garantir ». Les reines et régentes sont jugées sévèrement ou complètement omises. La politique est affaire d’hommes. Seules Clotilde qui travailla à la conversion de Clovis et Bathilde, femme pieuse et modeste, méritent aux yeux de Fleury l’admiration de la postérité, mais leur influence dans les affaires du royaume reste minorée. Ainsi, au fil de la lecture, se fixent les qualités du monarque absolu : pieux, soumis à l’Eglise, travailleur appliqué, conservant ses pouvoirs sans les partager avec les parlements, prudent avant d’être réformateur zélé et respectueux des traditions.

Pour éviter d'être plus tard mal-jugés ou de tomber dans l'oubli comme les premiers souverains francs, les Bourbons décident de faire écrire l'Histoire de leur vivant. Les historiographes de l'Académie des Inscriptions et des Belles lettres, sont employés à porter le souvenir du roi à la postérité en privilégiant bien évidemment des récits héroïques, les succès sur la scène politique, sur le plan économique et dans le domaine des sciences et des arts. Le frontispice sur les rapports publiés annuellement par l'Académie, que ce soit à l'époque de Louis XIV puis de Louis XV (portraits présents dans les médaillons), rappelle le rôle important de cette Institution dans l'écriture de l'histoire des Bourbons.

Frontispice de l'Histoire de l'Académie des Inscriptions et des Belles lettres (AD78 : FA-IN-4° 28 1 et 14).

Une œuvre inachevée

Chantal Grell date la rédaction de l’Abrégé d’histoire de France entre les années 1717 et 1719. Ce manuscrit demeure néanmoins une œuvre inachevée puisqu’il s’arrête à l’avènement des Capétiens. L’entourage de Fleury le regretta mais le prélat alors âgé de 66 ans, impliqué dans une intense vie publique et peu enclin au travail littéraire, n’avait probablement ni la volonté, ni le souhait de poursuive ce projet. Le roi grandissait et l’Abrégé convenait mieux à un enfant. Il n’avait rien d’un manifeste politique comme aurait pu le rédiger un Mazarin ou un Fénelon. En outre, l’éducation de Louis XV souffrait de certaines carences que s’efforcèrent de combler rapidement l’ancien régent et le premier ministre, le cardinal Dubois, la première année de sa majorité. 

Cela n'enlève rien à l'intérêt et à la richesse de ce manuscrit, à la fois récit adapté à un enfant roi, témoignage insolite des principes pédagogiques et de la vision politique de son précepteur, André-Hercule de Fleury.

 

 

 

 

Partager sur