Episode 1 | Madame Du Barry à l'heure des comptes
20 ans d’enrichissement des collections
L’occasion des 20 ans du bâtiment des Archives départementales, construit en ville nouvelle de Saint-Quentin-en-Yvelines, est un moment privilégié pour présenter une sélection des documents les plus notables venus intégrer par "voie extraordinaire" nos collections depuis 2004. La "voie extraordinaire" est celle empruntée par les archives non produites par l’administration et autrefois détenues par des particuliers, des associations ou des entreprises. Simples pièces ou ensembles conséquents, leur analyse renouvelle notre connaissance du territoire, de ses habitants et des évènements qui s’y sont déroulés. Ainsi, nous vous invitons périodiquement à découvrir ces sources de l'Histoire, autant de trésors relatifs à une personne, un lieu ou un évènement !
Episode 1 | Madame Du Barry à l'heure des comptes
Comptes, mémoires et correspondances de la comtesse
Goûts d'une reine de cœur
L'historiographie récente a levé le voile sur "l'énigme Du Barry", ses origines, ses réseaux et son influence sur ses contemporains. Principale personnalité du demi-monde parisien, cette femme née le 19 août 1743 dans un village lorrain, sous le nom de Jeanne Bécu, réussit son introduction à la cour de Versailles et s'imposa comme favorite du roi, Louis XV, une place qu'elle occupera jusqu'à la mort du souverain en 1774. L’ascension sociale de cette femme issue des milieux populaires transgresse l’ordre établi ; elle arrive à une période marquée par de fortes tensions politiques et des réformes impopulaires. Dès lors, le nom de la comtesse Jeanne du Barry a longtemps été associé aux scandales et au déclin de la monarchie. Il faut revenir aux sources pour s’apercevoir de son effacement sur le plan politique à l'opposé de son interventionnisme dans le milieu des arts. Elle impose la mode parisienne dans toute l'Europe et porte une nouvelle génération d’artistes comme l’architecte Claude-Nicolas Ledoux, le sculpteur Augustin Pajou ou les peintres François-Hubert Drouais, Jean-Baptiste Greuze ou Jean-Honoré Fragonard. Le style néoclassique qui caractérisera le règne suivant, façonne ses premières œuvres sous son mecénat.
Le domaine de Louveciennes
En juillet 1769, Madame Du Barry reçoit du roi, sous forme d’usufruit, le château de Louveciennes. Situé en amont du dispositif de pompage de la machine de Marly qui alimentait en eaux de Seine les domaines royaux de Versailles et Marly, la demeure présentait l’inconvénient de ne disposer d’aucune vue sur la boucle de la Seine. Il était également impossible d’organiser des réceptions car peu de pièces étaient prévues à cet effet. Aussi, Madame du Barry confia à Claude-Nicolas Ledoux la construction d’un pavillon de musique au bout du parc, à l’aplomb de la vallée fluviale. Après huit mois de travaux, cette folie néo-classique fut inaugurée par un souper offert au roi, le 2 septembre 1771.
Après la mort du monarque et une disgrace de plus d'un an, Jeanne Du Barry rejoint Louveciennes où elle s’installe durablement. Dans cette retraite discrète, elle reçoit "la visite de quelques connaissances originales triées sur le volet" comme le rapporte le duc de Bedford en 1784, et continue, avec des moyens plus restreints, à passer des commandes pour le maintien de sa demeure. La dame de Louveciennes s'attache l'affection de la population locale, touchée par sa bienveillance et sa simplicité relationnelle.
Commandes d’œuvres d’art et objets de mode
Les différents documents manuscrits et iconographiques acquis entre 2012 et 2024 par les Archives départementales révèlent la nature des commandes passées par Madame Du Barry à divers fournisseurs et artistes. Ces précieuses archives offrent un tableau très évocateur du train de vie de la favorite dans sa maison de Louveciennes et permettent d'identifier de nombreux meubles, tableaux et objets d'art qui la décoraient grâce à des inventaires détaillés, des mémoires de fournisseurs et des devis s'étendant des années 1768 à 1793. Ces archives nous livrent avec force détails le luxueux train de vie et la gestion des propriétés.
Les mémoires de maçons, marbriers, peintres, décorateurs, jardiniers, tapissiers, serruriers, voituriers (chevaux et selleries), tailleurs, couturiers, modistes, bottiers permettent de constater que la favorite du roi dépense des sommes considérables en orfèvrerie, joaillerie ("Etat de la parure de rubis"), en porcelaines ("Etat des porcelaines livrées à Madame Du Barry par la Manufacture du Roy depuis le mois d'octobre 1768 jusqu'au premier janvier 1771") et sculptures (mémoires des sculpteurs Pajou, d'Allegrain). Les fêtes qu’elle donnait ne devaient manquer ni de charme ni de vins si l’on se réfère aux "Mémoires concernant la bouche" de 1788. La comtesse avait ainsi passé en une certaine occasion commande à Humbert et fils, négociants parisien, pour "30 bouteilles de vin d’Alicante, 400 bouteilles de Champagne, quatre demies queues de Nuits première classe et cinquante deux bouteilles de rhum de la Jamaïque".
Ces archives comptables invitent à entrer dans l'intimité de la comtesse. Sont employés pour ses atours toute une domesticité mais également des marchands de mode, couturiers, coiffeurs, pédicure, dentiste, professeurs d'écriture, de musique et de théâtre. Les bijoux qu’elle commande auprès de joaillers parisiens renommés sont autant d’ornements qui soulignent son rang et sa beauté ; ils représentent également de futurs gages, le jour où, comme elle s'y était préparée, sa présence deviendra indésirable à la cour.
Clichés d'Enzo Poveda et Jean-Bernard Barsamian
Les bustes de Jeanne Du Barry par Pajou
Le "Mémoire des ouvrages de sculptures staturaires" mentionne la commande à Augustin Pajou de cinq bustes de la favorite. La comtesse facilite la reproduction et la diffusion de son portrait, une manière d’asseoir son nouveau rang de favorite et probablement, de demeurer dans la mémoire collective une figure icônique de la beauté, comme avait pu l'être jadis Madame de Pompadour. Le sculpteur conçoit plusieurs déclinaisons d'un premier buste réalisé en terre cuite en 1770. La liste de ses ouvrages livrés et énumérés par Pajou manifeste un certain agacement de l'auteur qui peine à être rémunéré.
Le vol des bijoux et ses conséquences
La dame de Louveciennes va payer cher son intérêt pour la joaillerie. Elle n’est pourtant pas inquiétée quand éclate la Révolution française ; elle soutient, au contraire, les premières réformes. Dans la nuit du 10 au 11 janvier 1791, des voleurs dérobent ses bijoux. Les autorités locales sont alors saisies. Le butin est retrouvé un mois plus tard, en Angleterre, ce qui déclenche l'ouverture d'un procès à Londres. Pendant la période tumultueuse de la Terreur, ses voyages fréquents outre-manche éveillent les soupçons du Comité de Salut public. Accusée de soutenir secrètement la contre-révolution, elle est incarcérée le 22 septembre 1793, à la prison de Sainte-Pélagie à Paris. Après un procès expéditif, elle est envoyée sans ménagement sur l’échafaud, le 8 décembre 1793, et tous ses biens sont saisis.
Les documents comptables récupérés ces dernières années sont très probablement issus des pièces remises aux héritiers de la comtesse en 1825, dans le cadre du règlement des procédures des séquestres révolutionnaires, pour ensuite avoir été dispersées dans des collections particulières. Toutes ces archives sont donc intrinsèquement liées aux documents concernant Madame Du Barry et son château de Louveciennes et déjà conservés aux Archives des Yvelines, principalement sous les cotes E 74-85 et 4Q 36-39. Ces acquisitions permettent ainsi d’offrir au plus grand nombre l’accès à un ensemble cohérent d’archives sur un personnage essentiel, dont l’histoire s’est en partie construite sur le territoire des Yvelines, autour de la propriété de Louveciennes.
Principales sources conservées aux Archives départementales des Yvelines sur Madame Du Barry
- E 74-85. Documents séquestrés en 1793 composés de mémoires de dépenses, factures, inventaires et ventes de terres sises à Louveciennes, documents sur la maison de Voisins situées à Louveciennes, mémoires des travaux en son château de Villiers-sur-Orge (Longpont, Essonne), 1785-1790.
- 4Q 36-39. Dossiers de séquestre de Madame Du Barry : inventaire général des objets trouvés à Louveciennes, (meubles, argenterie, bijoux, dentelles, livres). Etat des lieux. Toilettes. Scellés. Notes sur ses voyages en Angleterre.
- J 3864. Ensemble de documents comptables (1768 à 1793) concernant la comtesse Du Barry, constitués d'inventaires détaillés, ainsi que de mémoires et devis de fournisseurs divers (joailliers, menuisiers, sculpteurs, peintres, tapissiers, jardiniers, etc.), liés à son train de vie et à l'ameublement, offert principalement par Louis XV.
- J 3925. Recueil composé au XXe siècle, contenant diverses pièces sur Madame Du Barry, du XVIIIe au XXe siècles, accompagné de l'ouvrage imprimé sur les bijoux de Madame Du Barry, documents inédits publiés par H. Welschinger, Paris, 1881 (voir exemplaire de la Bnf).
- J 4040. Fourniture de chapeaux et de plumes pour Madame Du Barry, 1773.
- 17Fi 1009. Louveciennes, Pavillon de Musique : gravure à l'aquatinte (1806).
- 17Fi 903. Vue perspective de l'hôtel des équipages dit des écuries de Madame du Barry, et élévation d'une rotonde à colonnade de la ménagerie projeté par Ledoux.