Les crêtes au collège Maurice Ravel, Montfort-l'Amaury
Dissimulée derrière un massif végétal, à l’abri des regards des passants, il se cache au collège Maurice Ravel de Montfort-L’Amaury une sculpture dont la présence avait été oubliée. D’apparence discrète, elle s’était fondue dans son environnement et perdue au milieu des feuillages. Mangée par les mousses et abîmée par les intempéries, l’œuvre a été révélée et restaurée en 2021.
Yasuo Mizui : un artiste japonais en France
Yasuo MIZUI (⽔井康雄) est un sculpteur de pierre japonais. L’artiste n’est pas un inconnu en France : sur la centaine d’œuvres réalisée à travers le monde, plus d’une trentaine se trouve sur le sol français. Ces dernières relèvent pour la plupart du 1% artistique et sont dispersées sur le territoire, dans les bâtiments scolaires (écoles, collèges, lycées ou universités) et les espaces publics.
Né en 1925 à Kyoto, Y. Mizui suit d’abord une formation d’ingénieur à l’Ecole des Sciences de Kobe dont il est diplômé en 1947. C’est après la guerre, durant laquelle il a travaillé comme technicien, qu’il décide de se réorienter. Il se tourne vers la sculpture et intègre l’Université des Arts de Tokyo. Il obtient en 1953 une bourse du gouvernement français et entre aux Beaux-Arts de Paris.
Spécialiste de la sculpture abstraite et monumentale, il obtient rapidement la reconnaissance de son travail par des personnalités françaises, comme André Malraux ou Jean Cocteau. En 1985, il se voit décerner par la France l’insigne de Commandeur des Arts et des Lettres.
Partageant sa vie entre France et Japon, il s’installera en 1997 dans le village de Lacoste, en Provence, où se trouve toujours son jardin de sculptures. Décédé en 2008, l’a rtiste continue de faire l’objet d’expositions. Ses œuvres monumentales peuplent toujours l’espace public ; peut-être en avez-vous déjà aperçu ?
L’âme des pierres : la sculpture comme un échange vivant
La sculpture de Yasuo Mizui est un art vivant, et du vivant. L’artiste travaille la pierre en dialoguant avec la matière : selon lui, la pierre lui parle et le guide. Quand elle lui parle, il est à l’écoute et perçoit une image qu’il va fixer par la sculpture. Son art est une réponse matérielle à cet échange. La pierre prend forme et s’anime par les efforts du sculpteur. L’artiste la façonne en prenant en compte son environnement (volume, jeux d’ombre et de lumière, etc.).
Selon l’artiste, la pierre conserve la mémoire et l’histoire de la Terre : c’est une matière naturelle et vivante, belle à l’état brute. Le respect du sculpteur se retrouve dans ses œuvres : « Derrière moi se dressait une carrière, comme un large paravent minéral sur lequel jouaient ombre et lumière. A bien l’observer cette roche était une ancienne coulée de lave restée figée à cet endroit, comme prête à se remettre en mouvement. Je fus hanté par l’idée que je pouvais redonner vie à la pierre mais tout en refusant que ma composition ne détruise l’harmonie naturelle de ce magnifique paravent de pierre » (Yasuo Mizui, 1963).
Après avoir vécu la guerre, Yasuo Mizui envisage l’art comme une voie pour la paix. Son rapport à la nature peut être rapproché des croyances shinto (ancienne religion japonaise) selon lesquelles des objets peuvent être des réceptacles pour les esprits divins, le plus souvent des éléments naturels comme des arbres ou des rochers.
Les crêtes : une « oscillo-pierre »
En tant que 1% artistique, l'œuvre du collège Maurice Ravel a été réalisée au moment de la construction de l'établissement. En juin 1974, le projet de sculpture proposé par Yasuo Mizui passe en commission. C’est le deuxième projet artistique présenté : le premier, qui prévoyait un vitrail, avait été écarté un an plus tôt. C’est une proposition très différente qui est présentée cette fois par les architectes et l’artiste japonais. La commission émet un avis favorable au projet de Mizui, estimant qu’il « témoigne d’une recherche plastique intéressante ».
L’œuvre est composée de dix éléments de pierre calcaire tendre. L’ensemble est posé sur une semelle en béton. En 2021, l’état de la sculpture nécessitait une intervention de restauration : la surface de la pierre avait été mangée par endroits par les lichens, fissurée par les intempéries et salie par la poussière et les fientes d’oiseaux. Quelques fragments s’étaient détachés et des racines avaient provoqué un soulèvement de la semelle. La restauration de l’œuvre a consisté en différents actes : élagage des végétaux, dépoussiérage de la sculpture, traitement biocide contre les mousses et lichens, nettoyage par micro-abrasion, réfection des joints, collage des fragments désolidarisés, ragréages – le tout achevé par une patine pour rendre une harmonie visuelle à l’ensemble.
L’œuvre est intitulée Les crêtes mais apparait souvent sous le nom « Oscillo-pierre ». Mizui a rassemblé sous le terme « oscillo » un grand nombre de ses sculptures qui présentent toutes des caractéristiques similaires. Les techniques employées pour leur fabrication peuvent différer, mais elles partagent ces mêmes formes oscillatoires qui évoquent des vagues, des montagnes ou encore des ondes sismiques ou sonores. On y retrouve très distinctement cette idée du mouvement et de la pierre vivante propre à l’art de Mizui : la pierre ainsi sculptée vibre et s’anime.
Il existe plusieurs sculptures de la série « oscillo » en France, aussi bien dans les collèges que dans les espaces publics urbains, comme c’est le cas du Mur qui s’ouvre du collège le Rondeau de Rambouillet ou de l’Oscillo-escalier de Villeneuve-d’Ascq.
Les crêtes du collège Maurice Ravel est une œuvre abstraite issue de cette même série : ses oscillations de pierre s’élèvent en volume sur la pelouse de l’établissement. Le mouvement subtil et doux de la sculpture résonne dans son environnement. La pierre semble pouvoir se mouvoir et communiquer : sa présence est un pont entre l’humain et la nature et invite à être à l’écoute. La restauration de l’œuvre a permis de rétablir cet échange.
Si une pierre reste brute dans la nature, l’être humain ne peut pas en écouter les paroles.
Yasuo Mizui (cité dans le documentaire «l’Homme qui insuffle l’âme dans la pierre », 1982, Fuji Television)