Archives départementales des Yvelines

Villette, la statue de la Vierge de l'annonciation

Epoque : début du XVIe siècle

Bénéficiaire : commune de Villette

Intervention effectuée : élimination de la peinture brune

Montant des travaux : 5 658,00 € T.T.C.

Montant de la subvention : 3 677,70 € (65% du montant total)

Restauration en 2019-2020 par Babara Donati et Philippe Donné ; étude préalable par Anna Kissilinskaia en 2017 ; suivi scientifique et technique par Catherine Crnokrak.

A la suite de cette restauration, la statue a été proposée à la Commission régionale du patrimoine de novembre 2020, en vue d’une protection au titre des monuments historiques. Elle a été inscrite par arrêté du 13 avril 2021.

La statue n’avait rien pour attirer le regard : elle était entièrement couverte d’une peinture dite « faux-bois » qui cachait ses blessures – les deux mains brisées. Au-début du XXIe siècle, cette peinture brune s’écaillait par plaques, notamment sur la partie droite du visage, lui donnant un aspect lépreux.

L’œuvre était pourtant suffisamment importante aux yeux des paroissiens de l’église Saint-Martin pour être présentée depuis longtemps, face à l’autel de la Vierge, dans une niche qui semble faite pour l’accueillir.

Une observation attentive de la statue, déposée à l’occasion des travaux dans l’édifice en 2012, a permis d’une part de vérifier le matériau (en pierre et non en bois), de remplacer son nom indéterminé de Sainte au livre par un thème iconographique (celui de la Vierge de l’Annonciation), ainsi que de situer sa création, à partir de quelques éléments stylistiques, non pas au XVIIe siècle, mais dans les années 1500.

Cependant, comment savoir ce qui se cachait sous cet habit de misère ? Seule une étude précise par un restaurateur effectuant des sondages pouvait le cerner. Son constat : la statue avait été grattée jusqu’à la pierre pour laisser place à cet épais badigeon brun uniforme, si bien que les couleurs d’origine ne subsistaient qu’à l’état de traces. A l’issue des travaux sur l’édifice, la commune a accepté de procéder au dégagement de ce badigeon dans la perspective de retrouver la qualité de la sculpture.

Etude et dégagement du badigeon

Une Vierge de l'Annonciation

Vitrail : Annonciation, cathédrale de Chartres
Vitrail : Annonciation, cathédrale de Chartres

L’identification de la figure n’est pas évidente, les mains étant brisées. Cependant dans le vestige de la main droite, on voit encore l’amorce du pouce contre la poitrine, ce qui signifie qu’elle la présentait ouverte, retournée contre son buste, geste caractéristique de Marie accueillant l’ange de l’Annonciation.

On peut suivre depuis le XIIe siècle, par exemple dans les nombreuses enluminures, les différentes variations depuis le geste archaïque des mains ouvertes : mains jointes, bras croisés, une main posée sur la poitrine ou bien ouverte en geste d’acceptation, et l’autre tenant le livre fermé dans un pan du manteau, ou encore posée sur le livre ouvert sur le pupitre ; le geste de la main tenant un livre ouvert semble tardif et caractéristique de la statuaire.

Cet objet abimé, posé sur la main gauche de la statue de Villette est bien reconnaissable comme un livre ouvert. La tenue sobre, la tête tournée vers le côté et le regard baissé confirment l’identification d’une Vierge de l’Annonciation.

La comparaison avec quelques groupes sculptés de l’Annonciation connus depuis le XIVe siècle permet d’imaginer l’ange perdu. Ces commandes sont souvent liées au cercle royal pour marquer la fondation de nouvelles chapelles, comme celle de Notre-Dame de la Désirée, en 1374, à Saint-Martin-la-Garenne, où seul l’ange subsiste.

Non loin de là, l'église de Guiry en Vexin conserve un groupe complet, caractéristique de la sculpture vexinoise du XVIe siècle.

On en trouve plus en Normandie, voici quelques exemples dans le département voisin de l’Eure :

Livre de ceinture, "De consolatione philosophiae", Boethius (XVe s)
Livre de ceinture, "De consolatione philosophiae", Boethius (XVe s)

Si on en rencontre déjà dans les enluminures au XIVe siècle, c’est surtout au XVIe siècle que se répand dans la sculpture, pour les figures féminines, la représentation du livre « portable », ou livre de ceinture. Par exemple, les élégantes saintes Barbe ou Catherine, de production champenoise, qui présentent fièrement leur livre d’heures, signe de leur pratique quotidienne de prière.

Dans la statue de Villette, le livre est en partie brisé, mais on distingue encore, sur les côtés, les pans souples d’une reliure en cuir et une torsade qui permettait de le porter. Il s’agit d’une version plus simple. Etonnamment, aucune bibliothèque française ne semble conserver ce type de reliure. Pour en trouver un exemple c’est dans les collections danoises ou allemandes qu’il faut rechercher cet objet ordinaire dont un inventaire international a été lancé depuis quelques années.

Une statue du XVIe siècle

Le style appartient bien à cet art du début du XVIe siècle, qui voit un grand nombre de réalisations sculptées dans le Vexin français répondre à celles de la Normandie où sont venus des artistes de Picardie. La statue de Villette présente toutefois quelques traits d’archaïsme. Ils sont peut-être volontaires, pour marquer la simplicité due au sujet. Même si elle a les yeux en amande, le haut du front dégagé et les chaussures à bout arrondi selon la mode, la Vierge ne peut être vêtue comme ces saintes au riche costume et à la coiffure sophistiquée. On trouve dans la statue de Villette un reflet de la très élégante sainte Anne de Poissy, mais la comparaison avec cette statue en bois de grande qualité, de production probablement parisienne, reste limitée. On peut aussi comparer le traitement du buste plat, comme enserré dans un corset dont seule la taille fine est marquée par des plis horizontaux, à celui de la sainte femme du groupe de la Déploration de Gisors. Cet ensemble a été commandé à un artiste rouennais dans les premières années du XVIe siècle.

Un groupe de l’Annonciation dans l’église ou une chapelle d’un manoir de Villette ou de Rosay ?

Plaque commémorative, église Saint-Martin (Villette)
Plaque commémorative, église Saint-Martin (Villette)

Cette plaque commémorative a été classée au titre des monuments historiques en 1961, comme monument funéraire. Cependant l’inscription ne signale pas la tombe du seigneur mais marque l’emplacement du banc qui lui est réservé, près du chœur, où elle a été retrouvée lorsqu’on a démonté la chaire à prêcher en 1875.

Pour ce que l’on sait de l’histoire de Villette au XVIe siècle, la famille de Fredet partageait la richesse locale que constituent les moulins sur la Vaucouleurs avec d’autres seigneurs, dont les Beauchamp, puis les Courtin.

On ne connait pas la date de décès de Charles, ni le lieu où il a été enterré. Le nom de son épouse semble également perdu. La dalle funéraire d’un Jean de Fredet subsiste dans l’église de Jumeauville, cependant il est difficile de déterminer s’il s’agit du père ou d’un frère de Charles, l’inscription en partie effacée ne portant plus de date. On y retrouve la même représentation du Christ au roseau devant lequel les membres de la famille sont agenouillés. De fait, la mention d’un Charles de Fredet dans les archives en 1521, 1549 et 1562 laisse supposer un prénom porté de père en fils.

A la fin du XVIe siècle, ces familles s’effacent progressivement et la plupart des seigneuries : du Haut et du bas Rosay, de Leuze ou du Boys qui avaient chacune leur manoir, sont rassemblées entre les mains de celui qui construira le château du Haut Rosay au début du XVIIe s. Pour tous ces paroissiens, l’église demeure à Villette jusqu’à ce que la chapelle du château, reconstruite en 1719, soit ouverte aux habitants de Rosay par la famille Bachelier.

Relief sculpté aux armes de Gabrielle Bachelier, église Saint-Martin (Villette)
Relief sculpté aux armes de Gabrielle Bachelier, église Saint-Martin (Villette)

L'église Saint-Martin abrite également un relief sculpté aux armes de Gabrielle Bachelier, veuve de Joachim de Chénédé, restauré avec l’aide du Département en 2010. Il s’agit du dossier de l’ancien banc seigneurial, en partie réparé au XIXe siècle. Les armoiries des Chénédé, entourées d’un cordon noué ou « lac de veuve », indiquent que Gabrielle Bachelier a conservé ses privilèges après la vente, en 1748, de son château de Rosay dont elle a gardé l’usufruit jusqu’à sa mort, en 1760.

Ces deux objets ont, en fait, la même destination sous l’Ancien Régime : marquer sa place dans l’église, en référence à son statut social.

Il est difficile aujourd’hui d’associer la statue de l’Annonciation à l’une ou l’autre de ces familles ou à la chapelle privée d’un de leurs manoirs disparus. On sait, par ailleurs, que les Fredet de Jumeauville n’ont pas manqué d’orner par des œuvres d’art l’église où se trouve leur sépulture. C’est probablement eux qui avaient commandé un groupe sculpté, aujourd’hui disparu, de la Mise au tombeau, dont le sujet correspond tout à fait à la dévotion pour la Passion de la fin du Moyen-Age.

Il est également possible que cette statue de la Vierge provienne de l’abbaye voisine de Saint-Corentin à Septeuil dont les objets furent dispersés à la Révolution.

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