Découverte du mois de Juillet
Il y a 10 ans : La Condamnation de saint Denis du Mesnil-Saint-Denis venait rejoindre le corpus de Gabriel - François Doyen, un élève de Carle Van Loo
20 ans !
2024 marque le vingtième anniversaire du bâtiment des Archives départementales des Yvelines, qui accueille également le service Seine et Yvelines Archéologie et le Pôle Sauvegarde et Transmission des Patrimoines. Dès l’origine, cet édifice a été conçu pour rassembler les activités de ces trois services patrimoniaux et abriter les collections dont ils ont la charge. Côté Patrimoine, deux grandes spécificités : un laboratoire de restauration et le dépôt des Antiquités et Objets d’Art. Le laboratoire permet d’accueillir les très grands formats ou les œuvres particulièrement fragiles et le dépôt est gracieusement mis à disposition des communes pour abriter leurs œuvres durant des travaux.
Les « Découvertes du mois » vous proposent donc de remonter le temps pour découvrir des œuvres hébergées dans ces deux espaces au fil des années.
Un bel exemple de la grande peinture d’histoire française au XVIIIe siècle
Si plusieurs restaurations programmées dans les Yvelines autour des années 2010 avaient révélé l’existence d’œuvres majeures de la peinture espagnole et italienne, celle du tableau de l’église paroissiale du Mesnil - Saint - Denis, figurant la Condamnation de saint Denis, a permis à la peinture française du XVIIIe siècle de ne pas être en reste.
L’intervention1 opérée sur cette œuvre, initiée à la suite du constat d’état2, a relancé le débat quant à l’identification de son auteur. En effet, s’il s’agit bien d’un peintre du XVIIIe siècle, l’attribution initiale de cette peinture, par Nathalie Volle, à Jean Berthélémy (1743 - 1811), a pourtant été démentie au profit d’une nouvelle attribution à Gabriel - François Doyen (1726 - 1806), dont l’œuvre yvelinoise serait la première connue de l’artiste.
[1]. La restauration de la couche picturale a été effectuée dans les ateliers du service du patrimoine monumental et mobilier, dans le bâtiment des archives départementales à Montigny - le - Bretonneux. Les interventions ont été confiées à Emmanuel Joyerot (support), Geneviève Guttin (couche picturale) et Maxime Seigneury (cadre et retable).
[2]. Constat d’état réalisé en 2007 par Yves Lutet - Toti et Lucia Guirguis.
Visible sur le mur de la nef dans son fragment de retable en bois peint et doré, ce tableau était à l’origine associé à l’autel majeur du chœur, dédié au saint patron de l’église, inauguré le 8 décembre 1747, dans le même temps que les lambris, le tabernacle, la Gloire, les pilastres et le cadre du tableau, dont on apprend par les registres paroissiaux qu’il est l’œuvre du « …Vieux Dumas menuisier et [du] Vieux Slosse3 doreur et marbrier l’un et l’autre des menus plaisirs de sa Majesté… ». Le curé mentionne également que le tableau a « été fait par un élève et sous les yeux de Carlovalo célèbre peintre ».
Cet ensemble fut offert par Charles de Selle, seigneur des lieux à partir de 1737, à la suite de la famille Habert de Montmor. Personnalité importante, il occupa les fonctions d’avocat au Parlement de Paris, de conseiller du roi, puis de commissaire aux requêtes du palais.
[3]. Il s’agit sans doute du sculpteur Michel-Ange Slodtz (1705 - 1764).
Ce tableau4, inscrit au titre des monuments historiques depuis 1982, était considérée jusqu’à sa restauration, comme une copie de qualité d’un élève de Carle Van Loo, d’après la toile signée du maître et exécutée en 1741 pour l’autel droit du chœur des Frères de la Chartreuse de Champmol (Bourgogne), aujourd’hui conservée au musée des Beaux-Arts de Dijon.
Déjà rentoilée en 1967, l’œuvre yvelinoise, dont la surface était encrassée et le vernis jauni et opacifié, a nécessité en 2014 une intervention tant sur la toile que sur la couche picturale. C’est lors du nettoyage de la surface peinte en juin 2015 qu’est décelée une inscription dans la manche du vêtement de saint Denis : « F Doyen », qui n’est autre que la signature du peintre Gabriel - François Doyen (1726 - 1806).
[4]. Cette huile sur toile, de format cintré, mesure environ 2m40 par 1m25.
Cette découverte confirme la réalisation de l’œuvre par un élève de Carle Van Loo. Mais, si la toile du Mesnil - Saint - Denis, peinte moins de cinq ans après la toile bourguignonne, est clairement inspirée par cette dernière, Doyen démontre, néanmoins, dans cette œuvre de jeunesse, une grande maitrise, qui l’éloigne complètement du simple mimétisme. Totalement décomplexé, l’artiste n’hésite pas ici à prendre des libertés par rapport à la peinture originale. En effet, saint Denis, premier évêque de Paris est figuré dans un cadrage resserré, qui laisse moins de place aux personnages secondaires mais qui accentue l’intensité de la composition. Le saint, dont la chaine autour du cou a également disparu, est amené au gouverneur romain Sisinnius, (devenu barbu dans cette version) par un seul soldat. La mitre et la crosse ont été retirées du décor. Et, si les deux fidèles compagnons de saint Denis (Eleuthère et Rustique) assistent bien à la scène, seul l’un d’eux est vraiment mis en lumière au travers du personnage agenouillé au premier plan. En revanche, la composition reprend le décor architecturé et adopte également un format cintré. La restauration de la couche picturale a mis en évidence également plusieurs repentirs, synonymes des nombreux changements opérés par Doyen dans sa composition initiale, peut - être à la demande ou sur les conseils de son maître. On sait par ailleurs que Van Loo n’hésitait pas à retoucher lui - même les œuvres de ses élèves.
Ainsi, un personnage masculin de profil (soldat casqué ?) a été remplacé par une colonne, dans l’ombre de la partie supérieure gauche du tableau et le positionnement du casque du soldat au centre de l’œuvre a été modifié.
Le nettoyage de la partie supérieure a permis de mettre en évidence le dessin préparatoire et la technique5 mise en œuvre par Doyen. Ce dernier sculpte la matière picturale avec la hampe de son pinceau pour donner du relief au dessin tout en gardant une certaine légèreté, réservant les empâtements principalement aux blancs des nuages, aux drapés et aux effets de lumière.
[5] . La préparation de Doyen est ici composée de deux couches de couleurs différentes : une couche rouge et épaisse que recouvre une couche grise plus fine.
Enfin, la finesse du personnage féminin au premier plan contraste avec la force, qui se dégage du personnage agenouillé, dont on ne voit pourtant que les deux mains enchainées. Ces éléments, associés à la délicatesse des coloris employés et au souci du détail, dont témoignent le traitement du vêtement du saint mais aussi l’arrangement savant des drapés, confirment, s’il le fallait, la dextérité du peintre.
Il est vrai, que Doyen est un artiste précoce, doué pour le dessin, qui entre dans l’atelier de Van Loo alors qu’il n’a pas encore 12 ans. Il suivra ensuite les cours de l’École Royale des Élèves protégés jusqu’en 1750, avant de partir à Rome où il découvrira les grands maîtres tels Le Dominiquin, Carrache, ou Pierre de Cortone. Agréé à l’Académie en 1758, Doyen devient un peintre d’histoire reconnu, qui reçoit d’importantes commandes, comme notamment, à la mort de son maître en 1765, pour la décoration de la chapelle Saint - Grégoire de l’église Saint - Louis des Invalides, ou encore pour l’église Saint - Roch à Paris, le Miracle des Ardents, sa toile sans doute la plus célèbre.
L’œuvre découverte dans l’église du Mesnil - Saint - Denis ne figure pas dans la liste des œuvres connues et attribuées à Doyen, mais serait la première répertoriée de l’artiste. Et, la date probable de création de cette composition (vers 1746), qui la rapproche de celle à laquelle Doyen obtient le 2ème prix de Rome, lui confère un intérêt particulier. En effet, sachant que le tableau, qui permit à Doyen d’être reçu n’est pas connu, l’hypothèse que l’œuvre yvelinoise pourrait être celui-ci parait plausible malgré son iconographie peu habituelle pour un prix de Rome. Toutefois, cette théorie devrait être confirmée, la possibilité que cette œuvre soit le fruit d’une commande à l’atelier de Van Loo n’étant pas complètement écartée. Quoiqu’il en soit, cette redécouverte a permis le Classement du tableau au titre des Monuments historiques en 2017.
Article : Cécile GARGUELLE, conservatrice des antiquité et objets d’art et responsable du PSTP.