Découverte du mois de Septembre
Il y a 7 ans dans le bâtiment : un trésor caché de l’église Saint-Martin de Sartrouville
20 ans !
2024 marque le vingtième anniversaire du bâtiment des Archives départementales des Yvelines, qui accueille également le service Seine et Yvelines Archéologie et le Pôle Sauvegarde et Transmission des Patrimoines. Dès l’origine, cet édifice a été conçu pour rassembler les activités de ces trois services patrimoniaux et abriter les collections dont ils ont la charge. Côté Patrimoine, deux grandes spécificités : un laboratoire de restauration et le dépôt des Antiquités et Objets d’Art. Le laboratoire permet d’accueillir les très grands formats ou les œuvres particulièrement fragiles et le dépôt est gracieusement mis à disposition des communes pour abriter leurs œuvres durant des travaux.
Les « Découvertes du mois » vous proposent donc de remonter le temps pour découvrir des œuvres hébergées dans ces deux espaces au fil des années.
Ce tableau est un « miraculé ». Il fut retrouvé en 2017 par le curé de la paroisse de Sartrouville dans la cave du presbytère. Restauré dans la foulée et classé au titre des Monuments historiques, il a ensuite été conservé plusieurs années dans le dépôt des Antiquités et Objets d’art, le temps de travaux dans l’église Saint-Martin de Sartrouville. Il vient d’y retrouver un emplacement aux côtés d’autres œuvres attachées à cette église.
L'iconographie
Au centre de la composition, figure le Christ, revenu des morts et tenant l’étendard de la Résurrection, une bannière blanche frappée d’une croix rouge. Jeune et barbu, puissamment musclé, il est vêtu de son périzonium et du manteau rouge de la royauté. Il est doublement auréolé d’un cercle et de rayons lumineux. Les stigmates de la Passion sont bien visibles : traces de la crucifixion sur les mains et du coup de lance au côté droit. En partie haute, cinq anges présentent les principaux instruments de cette Passion : la croix, les clous et la colonne de la flagellation réapparue sous un repeint.
De part et d’autre du Christ sont figurées les deux colonnes de l’Église, saint Pierre et saint Paul. Pierre, appuyé sur un pilier évoquant les propos du Christ – « Tu es Pierre et sur cette pierre, je bâtirai mon Église », tient les clefs du paradis. Paul, l’apôtre des païens, tient le livre rassemblant ses lettres envoyées aux jeunes communautés chrétiennes ; à son côté, une épée rappelle son martyre.
Si ce type de représentation du Christ ressuscité est connu depuis le Moyen-âge – Résurrection peinte vers 1464 par Piero della Francesca vers 1464 pour la salle du conseil de la municipalité de Sansepolcro, la représentation des saints Pierre et Paul aux côtés du Ressuscité évoque plutôt le contexte de la Réforme catholique à l’issue du Concile de Trente (1545-1563). Une même iconographie se retrouve dans un tableau d’Antonio Moro (1519-1575) conservé au musée Condé de Chantilly. Les deux apôtres, témoins privilégiés de la Résurrection, en sont devenus les garants et, à ce titre, les colonnes de l’Église et donc les garants de l’orthodoxie. Pierre a en effet été le premier à voir le tombeau vide et Paul, le dernier a bénéficier de l’apparition du Christ ressuscité, sur le chemin de Damas.
L'attribbution à Michel I Coxcie
La provenance et l’origine de ce tableau sont inconnues, peut-être s’agit-il du « tableau représentant le Christ » mentionné dans l’inventaire de l’église dressé en 1906. L’iconographie, la facture de la peinture et le vert à base cuivre ont rapidement permis de dater cette œuvre du XVIème siècle. L’attribution à l’atelier de Michel Coxcie (1499-1592) a ensuite autorisé une datation plus précise, au milieu siècle. En effet, l’œuvre de Sartrouville rappelle sans conteste le Triomphe du Christ aujourd’hui conservé dans les collections du musée de Louvain et exposé lors d’une rétrospective consacrée au Maître de Malines. Ce triptyque, qui ornait initialement le tombeau de la famille des Morillon dans l’église Saint-Pierre à Louvain, a été commandé à Coxcie par Maximilien Morillon sans doute entre 1556 et 1567 en hommage à son père, sa mère et son frère, morts respectivement en 1548, 1552 et 1556. C’est pourquoi on les retrouve d’ailleurs sur les volets latéraux de la scène centrale du Christ ressuscité entre saint Pierre et saint Paul. Les études faites sur le tableau de Louvain rapprochent ce dernier d’une gravure de la Bibliothèque Royale de Bruxelles, exécutée par Cornelis Cort (1533-1578). Les deux œuvres, qui sont étonnement dans le même sens que cette gravure, laissent à penser qu’il existait sans doute une autre œuvre dont la gravure serait issue mais qui aurait aujourd’hui disparue. L’observation des détails du triptyque des Morillon nous fournit, par ailleurs, quelques éléments en ce sens, qui semblent indiquer que Coxcie s’est probablement souvenu de cette dernière. Pour preuve, les repentirs visibles sur le triptyque correspondent à des éléments figurés dans la gravure et dans l’œuvre yvelinoise : à senestre, au niveau de la main droite de l’ange qui tient la colonne, on aperçoit nettement l’extrémité de l’aile qu’il a d’abord peinte puis effacée. On remarque également que la position de la croix a posé des difficultés d’adaptation au peintre. L’œuvre préexistante présentant un espace beaucoup plus grand entre les anges et le Christ et le format du retable nécessitant sans doute un recadrage de la scène. Si l’on compare ensuite les tableaux de Louvain et de Sartrouville, on constate des similitudes dans le traitement très dépouillé des draperies : il y a peu de plis, surtout sur le retable - cf. drapé bleu du manteau de saint Pierre qui n’a presque pas de plis par rapport au drapé de Sartrouville. En réalité, le graveur a accentué les plis et renforcé les musculatures - cf. le bras gauche du Christ - qui sont très présentes sur la gravure et beaucoup plus fondues sur les deux peintures. On remarque aussi que la barbe de saint Paul, séparée en deux, se retrouve sur le tableau de Sartrouville - mais très usée - et sur le retable, mais que ce détail ne figure pas sur la gravure. De même, la gravure semble n’indiquer que deux clous alors que dans les deux tableaux, les trois clous sont bien visibles avec les pointes distinctes et espacées. Le tableau de Sartrouville et la gravure sont finalement bien plus proches du point de vue de la composition que la gravure ne l’est avec le triptyque. Le bras de l’ange, le plus senestre, est repérable sur le tableau yvelinois et sur la gravure, mais absent sur le retable. L’ange, contre le bord dextre, le traitement de la hampe de l’étendard et le visage du Christ sont en revanche très différents sur le tableau de Sartrouville.
S’il demeure difficile d’attribuer l’œuvre de Sartrouville directement à Michel Coxcie ou même d’affirmer avec certitude qu’il ne s’agit pas d’une copie ancienne réalisée et adaptée à partir de la gravure de Cort, il apparait possible néanmoins de la relier à l’atelier du Maître de Malines, notamment si l’on s’arrête sur le groupe d’anges à la colonne, détail intégré dans d’autres compositions de Coxcie – L’Annonciation, volet du triptyque fragmentaire de L’Adoration des Mages entré en 1584 dans les collections de l’Escurial - ou sur les grandes disparités de la qualité picturale des œuvres aujourd’hui rattachées au Maître et à son atelier. De la même manière, il n’est pas improbable non plus que l’œuvre yvelinoise soit même antérieure au triptyque des Morillon, qui glisse quant à lui stylistiquement déjà vers le XVIIème siècle.
La restauration
La peinture avait été anciennement rentoilée à la colle de pâte mais la toile de doublage - épaisse et tissée en chevrons - était déchirée et le châssis vermoulu et cassé. La toile elle-même, une toile de lin fine et serrée, était déchirée et perforée. De nombreux repeints - la tête de saint Paul paraissait entièrement refaite - étaient visibles. Un réseau de craquelures assez dense, des soulèvements et des lacunes de la couche picturale, des chancis – voiles opaques formés par le vieillissement du vernis - et des moisissures, ainsi que des traces de coulures d'eau altéraient également l’œuvre.
La peinture a été nettoyée et a fait l’objet d’un traitement fongicide. Elle a été consolidée par un refixage ; les déchirures ont également été consolidées grâce à des incrustations et un nouveau rentoilage à la cire-résine a été mis en œuvre. Le châssis a été remplacé et un voile de protection a été placé à l’arrière du tableau.
L’œuvre a été peinte sur une couche de préparation ocre-jaune et une sous-couche colorée en gris, notamment au niveau des carnations. Bien que n’ayant pas été analysés, les pigments utilisés sont manifestement anciens. On repère ainsi du vert à base de cuivre, malachite ou résinate de cuivre, un pigment présentant un brunissement irrégulier avec le temps. La matière picturale est fine, avec des rehauts figurant les veines ou des coups de lumière, mais sans empâtements. Les repeints ôtés, la couche picturale, bien qu’usée, s’est révélée en meilleure état que ce que l’on pouvait espérer.
Le véritable visage de saint Paul a ainsi été découvert. Une nouvelle harmonie de couleurs est apparue, allant du rose au mauve et faisant jouer les contrastes des couleurs complémentaires : jaune et violet, rouge et vert … Les lacunes et les usures prononcées ont fait l’objet de retouches point par point.
Le cadre, qui n’était probablement pas d’origine, était en très mauvais état et n’a pu être conservé. Un nouveau cadre, en bois doré, a été réalisé.
Œuvre restaurée en 2017-2018 par Emmanuel Joyerot (support), Geneviève Guttin (couche picturale) et Maxime Seigneury (création d’un cadre en bois doré).
Recherches : Catherine Crnokrak et Cécile Garguelle
Rédaction : Helga Briantais Rouyer