Archives départementales des Yvelines
 Le Mariage mystique de sainte Catherine d'Alexandrie, Eglise paroissiale Saint-Martin, Jouars-Pontchartrain ©CD78
Le Mariage mystique de sainte Catherine d'Alexandrie, Eglise paroissiale Saint-Martin, Jouars-Pontchartrain ©CD78

Découverte du mois de Novembre

Il y a quatre ans, dans le bâtiment : une copie remarquable du Corrège en provenance de Jouars-Pontchartrain

Il y a quatre ans, le Pôle Sauvegarde et Transmission des Patrimoines recevait dans son laboratoire de restauration une œuvre remarquable, un retable de la chapelle latérale dextre de l’église Saint-Martin de Jouars-Pontchartrain.

Le Mariage mystique de sainte Catherine

Cette huile sur toile (143 x 100 cm), inscrite au titre des Monuments Historiques, est une copie anonyme datant du XVIIe siècle d’un tableau du Corrège conservé au Louvre.

L’œuvre représente le moment sacré du mariage mystique de sainte Catherine d’Alexandrie. Les principaux personnages, disposés au premier plan dans une composition équilibrée, sont peints à mi-corps. Au centre, la Vierge Marie, vêtue d’un somptueux manteau rouge et d’une robe bleue, symbolisant respectivement la Passion et la pureté, est assise avec l’Enfant Jésus sur ses genoux. Ce dernier tend à sainte Catherine, agenouillée devant lui, un anneau nuptial. La tenue somptueuse de sainte Catherine souligne son lignage royal. Sa main gauche repose sur la roue à demi brisée, faisant référence au supplice miraculeusement évité, tandis qu’une épée, placée à côté, évoque son martyre.

 Le Mariage mystique de sainte Catherine d'Alexandrie, Eglise paroissiale Saint-Martin, Jouars-Pontchartrain ©CD78
Le Mariage mystique de sainte Catherine d'Alexandrie, Eglise paroissiale Saint-Martin, Jouars-Pontchartrain ©CD78

Derrière elle, saint Sébastien, reconnaissable à ses flèches, symbole de son propre martyre, observe la scène avec une sérénité contemplative, refermant visuellement la composition.

Le point focal de la composition réside dans l’entrelacement des trois mains superposées : celles de l’Enfant Jésus, de la Vierge et de sainte Catherine. Cet agencement accentue la dimension symbolique de la scène, représentant une élévation mystique de la sainte, suggérant une union avec le Christ, assimilée à un mariage.

Dans le paysage en arrière-plan, deux autres scènes illustrent des épisodes du martyre de sainte Catherine et de saint Sébastien. Entre les têtes des personnages principaux, on distingue une figure de la Sainte, agenouillée en prière, ainsi qu’un cavalier à cheval, armé d’une dague et portant un étendard. À gauche, un bosquet d’arbres abrite une autre scène narrative, où plusieurs personnages dynamisent discrètement le paysage.

Bien que seule une portion de cette scène soit visible, en raison d’un découpage au bord gauche du tableau, il est possible de la reconstituer grâce à une autre œuvre du même auteur, conservée dans l’église de Vicq. Dans cette version plus complète, on voit un jeune homme, torse nu, attaché à une colonne, tandis que des figures masculines s’apprêtent à lui tirer des flèches avec leurs arcs.

 Le Mariage mystique de sainte Catherine d'Alexandrie. Détail. ©CD78
Le Mariage mystique de sainte Catherine d'Alexandrie. Détail. ©CD78
Tableau de Vicq. Détail. ©CD78
Tableau de Vicq. Détail. ©CD78

Les lignes bleues délimitent les éléments coupés qui manquent au tableau de Jouars

La vie de la Sainte

Sainte Catherine d'Alexandrie est l'une des grandes figures de martyre de l’histoire chrétienne. Sa vie est racontée dans la Légende dorée de Jacques de Voragine. Née vers 290 à Alexandrie, elle était une jeune noble d'une érudition remarquable, convertie au christianisme après une vision du Christ. Dotée d'une intelligence exceptionnelle, elle défia l’empereur Maxence en réfutant les arguments de ses philosophes païens, convertissant plusieurs d'entre eux au christianisme.

Furieux, l’empereur la fit emprisonner. Cependant, ses prières attirèrent des miracles : sa cellule fut inondée de lumière divine et ses bourreaux se convertirent. Catherine subit des tortures terribles, notamment sur une roue garnie de pointes, qui se brisa miraculeusement, donnant naissance au symbole de la "roue de Sainte Catherine". Finalement, elle fut décapitée, devenant une martyre.

Traditionnellement, Sainte Catherine est représentée avec des attributs évoquant sa vie et son martyre : une roue dentée, souvent brisée ; une couronne, symbolisant sa noblesse ; une palme, signe de son triomphe spirituel sur la mort ; un livre, témoignant de son érudition ; et une épée, représentant son martyr.

La présence énigmatique de Saint Sébastien

La scène du « mariage mystique » de sainte Catherine est fréquemment représentée par les maîtres de l’art médiéval et de la Renaissance, tels que Giovanni di Paolo, Raphaël ou Bartolomé Bermejo. Ce qui distingue cependant l’œuvre du Corrège, et par conséquent notre tableau, c’est son iconographie unique, notamment la présence de saint Sébastien. La raison de cette inclusion reste incertaine.

Selon le chercheur David Ekserdjian, Saint Sébastien pourrait être le saint patron de Francesco Grillenzoni, le propriétaire initial de la peinture. Giancarla Periti, quant à elle, avance que la présence du saint pourrait être liée à des études sur un Cupidon attaché à un arbre par Correggio. Grillenzoni, passionné par des discussions intellectuelles, était vraisemblablement un mécène attiré par un art spirituellement stimulant. Selon Periti, Correggio aurait voulu créer une identité complexe pour saint Sébastien, l’associant à l’idée de "transformation intérieure" et au concept de nova creatura, un être "régénéré et renouvelé par l'amour et la grâce de Dieu". Dans cette interprétation, saint Sébastien incarne une figure proche du dieu païen Amor, devenant ainsi "l'archétype de l'âme transformée par l'amour et la foi".

L'Œuvre du Corrège et ses Copies

Le Corrège (Antonio Allegri, dit Le Corrège, du nom de sa ville natale, Correggio), l’un des grands maîtres de la Renaissance italienne de l’école de Parme, réalisa cette œuvre vers les années 1520. Elle témoigne de l’influence évidente de Léonard de Vinci, notamment dans la douceur des visages, des mains et l’atmosphère empreinte de grâce. Cette peinture fut commandée par Francesco Grillenzoni, un ami du peintre, et entra plus tard dans la collection du cardinal Mazarin au XVIIe siècle, avant d’être acquise par Louis XIV en 1665. L’arrivée de cette œuvre en France favorisa la production de nombreuses copies, particulièrement au XVIIesiècle.

Outre l’œuvre de Jouars-Pontchartrain, trois autres copies du Corrège se trouvent dans les Yvelines : une seconde copie du même auteur, conservée dans l’église de Vicq, ainsi que des copies plus tardives, datant du XIXesiècle, à Sonchamp et à Magny-les-Hameaux.

Toutes ces copies sont fidèles à l’original, bien que l’artiste anonyme ait agrandi le ciel et modifié le format, passant d’une composition presque carrée à un format vertical plus classique.

Le Mariage mystique de sainte Catherine d'Alexandrie en présence de saint Sébastien ; dans le paysage, martyres de deux saints
Le Mariage mystique de sainte Catherine d'Alexandrie en présence de saint Sébastien ; dans le paysage, martyres de deux saints

1526 / 1527 (2e quart du XVIe siècle)

Corrège 

© 1996 GrandPalaisRmn (musée du Louvre) / René-Gabriel Ojéda

 Le Mariage mystique de sainte Catherine d'Alexandrie, Eglise paroissiale Saint-Martin, Jouars-Pontchartrain ©CD78
Le Mariage mystique de sainte Catherine d'Alexandrie, Eglise paroissiale Saint-Martin, Jouars-Pontchartrain ©CD78

L’opération de restauration

Avant l’intervention, l’état de cette peinture était très préoccupant en raison d’un soulèvement généralisé de la couche picturale. Une première restauration du support avait été réalisée entre 2004 et 2006 pour traiter les problèmes d’humidité, responsables du développement de moisissures et de la dégradation de l’encollage, entraînant une perte d’adhérence de la couche picturale. Cependant, les problèmes d’humidité persistants dans l’église ont remis en question l’efficacité de cette première intervention, ce qui a conduit à une nouvelle restauration en 2020.

La nouvelle restauration du support a été assurée par Emmanuel Joyerot, dont l’objectif principal était de stabiliser la peinture, qui présentait alors un soulèvement particulièrement important. La couche picturale a été restaurée par Geneviève Guttin, sous la direction de Cécile Garguelle, conservatrice déléguée des Antiquités et Objets d'Art des Yvelines. Parallèlement, un cadre de retable du XVIIe siècle, orné d’une tête d’angelot soutenue par deux guirlandes de fleurs, a été pris en charge par Jean-Pierre Galopin, en raison de l’encrassement prononcé et du soulèvement des apprêts.

Ces interventions de restauration ont permis de redonner à l’œuvre sa stabilité et sa lisibilité.

Détail du visage de sainte Catherine avant intervention avec soulèvements de la couche picturale
Détail du visage de sainte Catherine avant intervention avec soulèvements de la couche picturale

 Le Mariage mystique de sainte Catherine d'Alexandrie, Eglise paroissiale Saint-Martin, Jouars-Pontchartrain ©CD78

Détail du cadre avant restauration ©CD78
Détail du cadre avant restauration ©CD78
Détail du cadre avant restauration ©CD78
Détail du cadre avant restauration ©CD78

En savoir plus :

Ekserdjian, David, Correggio, New Haven, Yale University Press, 1997, p. 15

Gould, Cecil, The paintings of Correggio, Londres, Faber and Faber, 1976, p. 236

Periti, Giancarla. “Art and Reform : Correggio's Mystic Marriage of St. Catherine with St. Sebastian.” Sixteenth Century Journal 38, no. 3 (2007): 683–704.

Villot, Frédéric, Notice des tableaux exposés dans les galeries du Musée National du Louvre. 1re partie. Écoles d'Italie, Paris, Vinchon, 1852, n°27

Dossier suivi par Cécile Garguelle, conservatrice des antiquité et objets d’art et responsable du PSTP

Article : Anna Shagiakhmetova 

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