Archives départementales des Yvelines

Découverte du mois de Mars

Un vase décoratif au musée Fournaise de Chatou : un cadeau de la ville à son maire en 1835

La ville de Chatou possède de multiples trésors et parmi eux, un vase décoratif présentant des vues de la ville réalisé en 1835. Ce vase a fait l’objet d’une protection spécifique : il est désormais inscrit au titre des Monuments Historiques. Cette inscription a été soutenue auprès de la DRAC par le pôle Patrimoine grâce à son rôle de Conservation des Antiquités et Objets d’Art.

Vase en porcelaine dure peinte et dorée de Jacob Petit, 1835, Chatou, Musée municipal Fournaise
Vase en porcelaine dure peinte et dorée de Jacob Petit, 1835, Chatou, Musée municipal Fournaise

©CD78, Aurore Pierre, avril 2024

Ce vase est aujourd’hui conservé dans le musée de la Maison Fournaise. Cette ancienne guinguette, très connue à la fin du XIXème siècle, recevait de nombreux artistes, parmi lesquels Auguste Renoir, grande figure du mouvement impressionniste. Devenue musée municipal, elle présente aujourd’hui des expositions autour des mouvements artistiques contemporains aux impressionnistes.

Un vase néo-classique

Le vase, en porcelaine peinte et dorée, s’inspire des formes des vases antiques. Il s’agit d’un goût typique du début du XIXème siècle : le style néo-classique, qui prône un retour aux formes antiques. Ce style prend son essor en Europe après les découvertes archéologiques de Pompéi et d’Herculanum.

Le vase est composé de cinq parties : le socle, le pied, la panse et les deux anses. En bon état de conservation, on aperçoit malgré tout le passage du temps à travers l’usure de la peinture dorée ainsi qu’une légère fêlure à l’intérieur du socle.

Il repose sur un socle composé de moulures en escalier et d’une base carrée. Sur les faces de ce socle se trouvent deux inscriptions : « A Monsieur Camille Périer, la comne de Chatou reconnaissante 30 mars 1835 » et « péage aboli le 30 mars 1835 ». Sur les deux autres faces du socle sont représentées des vues de paysage avec des architectures non identifiées.

La panse du vase est ornée de deux scènes peintes entourées de frises décoratives. La première est une vue de l’ancien pont de bois de Chatou sur la Seine, avec des bateaux et des maisons. La deuxième est une représentation de la maison de Camille Périer, actuel Hôtel de Ville.

Les décors sont encadrés de frises de motifs végétaux et géométriques typiques du néoclassicisme. Les anses du vase sont composées chacune de motifs végétaux stylisés et d’un masque ornemental.

La création d’un artiste talentueux

Ce vase est signé par l’artiste Jacob Petit, de son vrai nom Jacob Mardochée (1796 – 1867).

Céramiste et peintre sur porcelaine, Jacob Petit est un élève du peintre Antoine-Jean Gros. Il entre à la manufacture de Sèvres en 1822 puis s’en émancipe en achetant une manufacture à Fontainebleau en 1830. Il crée à cette même date un second atelier à Paris, dans le quartier de Belleville.

L’artiste rédige en 1831 un recueil de décoration (Ornements : Décorations intérieures : Meubles et objets de goût) qui connait un grand succès et lui servira sans doute d’inspiration toute sa carrière durant.

Jacob Petit a une production prolifique et connaît un vrai succès. Il est surtout reconnu pour son style aux couleurs vives voir criardes, avec des formes exubérantes inspirées du style rococo, extrêmement chargé, ornementé et coloré – le vase néoclassique de Chatou est plutôt discret en comparaison avec d’autres œuvres de l’artiste !

On trouve ainsi de nombreuses pièces signées de sa main dans différents musées de France comme au musée du Louvre, au musée des Arts Décoratifs ou encore au Petit Palais, musée des Beaux-arts de la ville de Paris, qui conserve une originale Pendule au mameluk datée de 1845.

Malgré tout, Jacob Petit fait faillite en 1848, et décède dans la misère en 1868.

Un vase précieux pour l’histoire de Chatou

Ce vase est un cadeau des habitants de la commune à leur maire Camille Périer (1781 – 1844). Camille Périer (frère de Casimir, homme d’état et Président du conseil en 1831) est maire de Chatou de 1832 à 1844. Sa maison est devenue en 1878 l’Hôtel de Ville de Chatou et est actuellement en rénovation.

Les habitants ont tenu à offrir ce vase à leur maire en remerciement de l’abolition du droit de péage du pont de Chatou. Ce pont, alors en bois, avait en effet été reconstruit en 1818 après avoir été détruit pendant les Cent-Jours, lorsque Napoléon Ier cherchait à reconquérir le pouvoir. A cette occasion, un droit de péage y avait été appliqué, ce qui gênait beaucoup les habitants de la ville qui possédaient des champs accessibles grâce à ce pont. On retrouve par exemple des témoignages de protestations à ce sujet au conseil municipal du 4 avril 1825 lorsque le maire de l’époque, monsieur Mitouflet de Beauvais, dénonce la pâture gênée « par la charge très onéreuse d’un droit de péage pour le passage du pont qui était nouvelle et jusque-là inconnue à cette commune (…), que la création de ce péage est surtout pénible pour la culture des propriétés de ceux qui en ont au-delà de ce pont et leur enlève une partie des produits de terres déjà ingrates de leur nature ». Le vase présente ainsi une scène de liesse avec de nombreux habitants en train de célébrer l’abolition de ce péage autour du pont et sur des bateaux.

Outre la représentation de la gratitude des habitants débarrassés de cette taxe malvenue, les vues de la ville peintes sur le vase sont d’un grand intérêt pour l’histoire de la commune. On peut ainsi observer le pont lui-même, dont il ne reste plus trace aujourd’hui. En effet, ce pont tout en bois a été remplacé par un pont à culée et piles en maçonnerie avec tablier en bois en 1836-1838, puis il a subi des dégâts lors de la guerre de 1870 et a donc été à nouveau reconstruit en 1873, avant d’être condamné en 1966 par la création d’une déviation. C’est donc l’une des rares représentations existantes de ce pont de bois. Cette peinture représente aussi l’environnement du pont, avec les maisons de ville autour de la rue du Port, qui était à cette époque le seul centre urbain de la commune. Enfin sur l’autre vue peinte de la panse, on retrouve également représentée la maison de Camille Périer, ancien Hôtel de Ville de la commune, qui est toujours bien présente aujourd’hui.

Un vase remarquable désormais protégé au titre des Monuments Historiques

Le vase de Chatou est un objet de belle qualité. Sa facture est particulièrement raffinée, sans présenter la surcharge d’ornementation régulièrement observée dans les créations de Jacob Petit mais tout en suivant le goût de l’époque et le style néoclassique. Les scènes représentées par la peinture sont très fines et délicates et font preuve d’une grande attention au détail. Il présente par ailleurs un intérêt tout particulier pour l’histoire de la commune de Chatou en célébrant l’action du maire de Chatou dans l’intérêt de ses concitoyens et en représentant la ville à un moment précis de son histoire, ce qui en fait un témoignage fort intéressant.

Pour toutes ces raisons, la conservation des Antiquités et Objets d’art du département des Yvelines a décidé de présenter cette œuvre à la commission régionale du patrimoine et de l’architecture (CRPA) afin d’en proposer l’inscription auprès des monuments historiques au titre de la protection des objets mobiliers. Le statut de monument historique, créé dès 1830, est une reconnaissance par la Nation de l’intérêt patrimonial d’un bien. Souvent plus connue pour les édifices, il s’applique également pour les objets mobiliers qui présentent un intérêt historique, artistique, scientifique ou technique.

Il existe deux formes de protection : le classement ou l’inscription. L’inscription est le premier niveau de protection, décidé par le préfet de région après avis de la CRPA, tandis que le classement est le niveau le plus élevé, décidé par arrêté du ministre de la culture après avis de la commission nationale du patrimoine et de l’architecture (CNPA). Cette protection implique une responsabilité partagée entre les propriétaires et la collectivité nationale au regard de sa conservation et de sa transmission aux générations à venir ; des subventions peuvent notamment être accordées au propriétaire pour l’accompagner dans l’étude, l’entretien ou la restauration de son bien protégé.

Pour le vase, la CRPA s’est prononcée en faveur de son inscription au titre des monuments historiques, sans prononcer de vœu de classement : l’œuvre restera donc inscrite et a reçu un arrêté la déclarant comme telle.


Sources bibliographiques

- Chatou, Croissy-sur-Seine (Yvelines) : Villégiatures en bordure de Seine Yvelines, Laurent ROBERT et Dominique HERVIER (dir.) (photogr. Jean-Bernard Vialles), Inventaire général coll. « Images du Patrimoine » n° 128, 1993

- Ornements : Décorations intérieures : Meubles et objets de goût composés, dessinés et gravés, Jacob Petit, Paris, 1831, éditions Bance aîné

- Porcelaines de Jacob Petit, Connaissance des Arts, n°7, Septembre 1952, 1952, Paris

- Les porcelaines de Jacob-Petit, Plaisir de France, n°365, Mars 1969, Régine Plinval-Salgues, édition Le Rayonnement français, 1969, Paris

- Exposition nationale. 1839. Paris – Rapport du jury central tome 3, Paris, L. Bouchard-Huzard, 1839 (p.239)

- Dictionnaire des parlementaires français, Adolphe ROBERT et Gaston COUGNY, Paris, édition Edgar Bourloton, 1889-1921 : « Camille Perier »

- Site internet de la ville de Chatou : D'une maison de campagne à un hôtel de Ville / Réhabilitation et restauration du patrimoine Catovien / Grands Projets - Ville de Chatou - Le site officiel

Article : Aurore Pierre, chargée de mission Patrimoine mobilier pour le PSTP.

Partager sur