Archives départementales des Yvelines

Découverte du mois de Septembre

La restauration du reliquaire de la Passion de Saint-Cyr-l’École

La politique de conservation du patrimoine mobilier dans les Yvelines a été marquée, en 2025, par la restauration d’un objet d’exception : un reliquaire offert par Madame de Maintenon, la seconde épouse de Louis XIV, à la Maison royale de Saint-Louis fondée à Saint-Cyr pour l’éducation des jeunes filles pauvres de la noblesse. Confié après la Révolution à la paroisse du lieu, cet objet a toujours été connu localement. Mais, bien que publié dans la revue L’Arten 1903, il n’a été redécouvert par les spécialistes qu’après une publication l’association historique de Saint-Cyr, en 2013. Il a ensuite été rapidement protégé au titre des Monuments historiques.

Une œuvre complexe et composite

Le reliquaire de la Passion se présente sous la forme d’une monstrance rectangulaire en bois doré contenant une plaque en métal ajouré. Cette dernière est visible sur les deux faces et présente trois reliques de la Passion : des fragments de la Croix, de la colonne de la Flagellation et de la Tunique du Christ. Les reliques de la Croix et de la Tunique sont placées au revers de bijoux, tandis que la relique de la colonne, au centre, est contenue dans une colonnette en métal.

La monstrance peut être datée de la fin du règne de Louis XIV. Sa croix sommitale, de facture moderne, est peut-être venue remplacer l’emblème de l’école royale de Saint-Cyr, une croix parsemée de fleurs de lys, et il est possible que les lys sculptés sur le nœud soient également des rajouts. Le cadre est doré à la détrempe [1] mais le fût et les anses ont été redorés à la mixtion [2], selon une technique propre au XIXe siècle. Au XXe siècle, des reprises ont été faites à la peinture dorée.

[1] La dorure à la détrempe implique un apprêt réalisé avec de la colle de peau de lapin du blanc de Meudon, une assiette de couleur orangée étant posée sur les parties saillantes. Les surfaces sont détrempées avec de l’eau pour faire adhérer les feuilles d’or.

[2] Dans la dorure à la mixtion, les feuilles d’or sont simplement collées, ici sur une préparation ocre jaune ou blanche.

Le reliquaire après restauration, côté bijoux
Le reliquaire après restauration, côté bijoux

© CD78 / J-B Barsamian

Le reliquaire après restauration, côté reliques
Le reliquaire après restauration, côté reliques

 © CD78 / J-B Barsamian

La plaque ajourée, en argent ciselé, autrefois partiellement doré, a été conçue pour accueillir les trois reliquaires et peut, elle aussi, être datée de la fin du règne de Louis XIV. A partir de deux coquilles enserrant la colonne, des volutes de feuillages se développent autour des emplacements réservés aux médaillons. Un motif de bâtons brisés souligné d’émail rouge et vert entoure l’emplacement réservé au plus petit et vient restituer une certaine symétrie.

Ce bijou, de forme ronde, est formé d’une intaille en onyx figurant la Pieta d’après Michel-Ange et portant l’inscription « PIETA ». La monture est en or, ornée sur la face d’émeraudes dans des cabochons dorés et de diamants dans des cabochons en argent. Une bélière permettait de porter ce bijou en pendentif, la relique placée contre soi. La monture des pierres désigne une production du milieu du XVIIe siècle, mais l’intaille pourrait être plus ancienne. Au revers, la bordure est décorée de feuilles stylisées gravées ou ciselées avec quatre attaches maintenant un cristal de roche abritant la relique de la Tunique. Le cristal est lui-même serti dans une monture dorée recouverte d’une « collerette » en papier doré. La relique est maintenue sur un coussinet par des fils dorés. Une étiquette en papier avec liseré doré porte la mention « el Tunicà D.N.J.C ».[3] L’écriture est caractéristique du XIXe siècle.

[3] D.N.J.C pour Domini Nostri Jesu Christi

La colonne reliquaire a été réalisée dans un alliage cuivreux doré. Le fût porte l’inscription « DU PILIER DUQUEL IESUS FUT BATTU EN MAISON DE PILATE ». Ce bijou pourrait être une production française de la fin du XVIesiècle. La relique est un fragment de porphyre taillé en fût de colonne, brisé en deux morceaux collés sur un carton, le tout callé par de petits morceaux de bois.

Le bijoux reliquaire de forme ovale est constitué d’un camée en cornaline de forme oblongue figurant l’Immaculée Conception. La monture est en métal doré avec sertissage d’émail blanc, bleu et noir formant des fleurs stylisées, avec des arcs ajourés alternant, sur la face, avec des feuilles stylisées serties chacune de trois diamants en table. La bélière est en or, sertie de diamants sur la face et émaillée au revers. Ce bijou est une production d’orfèvrerie parisienne des années 1630-1640. La relique est formée de deux éclats de bois, disposés en forme de croix latine, et collés sur un papier à liseré doré de même forme, reposant lui-même sur un coussinet. Un second papier à liseré doré porte l’inscription « Lignum S. Crucis »[4]. Là encore, l’écriture est caractéristique du XIXe siècle.

Les trois bijoux sont rattachés à la plaque ajourée par des fils en argent et les trois reliques sont authentifiées par des sceaux de cire rouge retenus par des fils garantissant la fermeture des reliquaires.

[4] « Lignum S. Crucis » pour « Bois de la S[ainte] Croix »

Le reliquaire après restauration, détail du bijou contenant aujourd’hui la relique de la Tunique du Christ et, à l’origine celle de la Croix
Le reliquaire après restauration, détail du bijou contenant aujourd’hui la relique de la Tunique du Christ et, à l’origine celle de la Croix

© CD78 / J-B Barsamian

Le reliquaire après restauration, détail de la colonne reliquaire
Le reliquaire après restauration, détail de la colonne reliquaire

© CD78 / J-B Barsamian

Le reliquaire après restauration, détail du bijou contenant aujourd’hui la relique de la Croix
Le reliquaire après restauration, détail du bijou contenant aujourd’hui la relique de la Croix

© CD78 / J-B Barsamian

Le reliquaire après restauration, détail de la partie supérieure de la monstrance en bois doré
Le reliquaire après restauration, détail de la partie supérieure de la monstrance en bois doré

© CD78 / J-B Barsamian

Des collections royales à l’église de Saint-Cyr-l’École

La plus ancienne trace historique du reliquaire de Saint-Cyr ne concerne que la relique de la Croix, placée dans le bijou abritant aujourd’hui le fragment de textile, et ainsi offerte par le pape Clément XI à Louis XIV le 3 janvier 1703.

Le reliquaire « en forme d’ostensoir » n’est connu qu’après la Restauration. Peu avant sa mort, en 1829, l’abbé Alexandre Prat, confesseur d’anciennes religieuses de Saint-Cyr, le remet au curé de la paroisse. Ce dernier demande alors l’autorisation d’exposer les reliques à la vénération des fidèles. Missionné par l’évêque de Versailles, Monseigneur Jean-François Borderies, le vicaire général du diocèse interroge l’abbé Prat et vérifie que les sceaux existants sont bien ceux posés avant la Révolution. De nouveaux sceaux, aux armes de Monseigneur Borderies, sont alors apposés sur les bijoux contenant les reliques de la Croix et de la Colonne. L’inversion entre deux bijoux a probablement lieu à ce moment.

L’authentique du 29 mars 1829 reprend le témoignage de l’abbé Prat, corroboré par ceux d’autres témoins de confiance : le reliquaire était exposé dans la chapelle de la Maison royale de Saint-Louis jusqu’à la Révolution, puis d’anciennes religieuses – les maîtresses des Demoiselles - l’ont ensuite conservé secrètement durant toute la période révolutionnaire avant de le lui confier. A cette date seules deux reliques sont mentionnées. La troisième, celle de la Tunique, est insérée peu après dans le dernier bijou puisque le sceau qui y est apposé est également celui de Monseigneur Borderies, décédé le 4 août 1932. Avait-elle été conservée séparément ? Est-elle venue remplacer une relique perdue ?

En 1898, une facture conservée dans les archives paroissiales atteste de la fabrication d’un « gaine en cuir » par « Jubault Fils à Versailles » pour conserver le reliquaire récemment « restauré ». La dorure à la mixtion date de cette intervention. En 1903, sur deux photographies publiées dans la revue L’Art, le reliquaire présente l’état que nous lui connaissons avec monstrance en bois doré et bijoux reliquaires. Trois ans plus tard, le 5 mars 1906 est établi l’inventaire des biens de la fabrique de l’église de Saint-Cyr. Mais l’abbé Notte, curé de la paroisse présente le reliquaire en bois doré vide au sous-inspecteur des Domaines et prétend l’avoir retrouvé « cassé » dans le grenier du presbytère et fait « restaurer » pour 600 F … Craignant probablement que les bijoux n’attisent les convoitises, il a pris soin de les soustraire – ainsi que les précieuses reliques - à cet inventaire.

En 1944, le reliquaire est mis à l’abris par des paroissiens et échappe ainsi au bombardement détruisant l’église. Enfin, en 1950, Gabriel Chenu Père, menuisier à Saint-Cyr, intervient à nouveau sur le reliquaire, principalement sur la monstrance en bois. Il recolle les parties fragilisées par les manipulations et effectue des retouches à la peinture dorée. Son fils, aujourd’hui membre de l’association Histoire et Patrimoine de Saint-Cyr-l’École, raconte que sa mère, durant la semaine où le reliquaire fut conservé chez eux, passa une grande partie de son temps en prière devant les reliques.

Le reliquaire après restauration, détail du sceau authentifiant la relique de la Croix
Le reliquaire après restauration, détail du sceau authentifiant la relique de la Croix

© CD78 / J-B Barsamian 

Le reliquaire après restauration, côté reliques, détail
Le reliquaire après restauration, côté reliques, détail

© CD78 / J-B Barsamian

La restauration de 2025

Le temps, les vicissitudes de l’histoire, de multiples manipulations, des conditions de conservation inadaptées et des soins parfois maladroits avaient contribué à dégrader l’état du reliquaire. Dès sa redécouverte et sa protection au titre des Monuments historiques en 2015, une restauration avait été préconisée. Ce projet a récemment abouti. Une étude préalable a d’abord été menée par deux les restauratrices en bois et métaux, avant que la restauration en tant que telle ne soit effectuée par trois de leurs collègues, spécialisées en métaux, pierre, verre et émaux, bois et matériaux organiques.

Les différentes parties du reliquaire ont été soigneusement dépoussiérées et nettoyées, et d’anciennes traces de colle et d’adhésif de type « patafix » retirés. Les parties déformées ou déstabilisées par le poids des bijoux ont, autant que possible, été remises d’aplomb et consolidées avec des matériaux aisément réversibles. Pour la plaque, autrefois partiellement dorée, le choix a été fait de conserver le ternissement noir dans les creux des décors pour en animer la surface. Les papiers dorés ont été remis à plat et leurs lacunes doublées de papier japon et retouchées à l’aquarelle. Les sceaux ont simplement été dépoussiérés, remis à plat et consolidés.

La restauration d’un tel objet, propriété communale affectée au culte, a fait l’objet d’une étroite collaboration entre le Diocèse de Versailles, la Conservation régionale des Monuments historiques et la Conservation des Antiquités et Objets d’Art. La monstrance en bois doré a été restaurée en atelier mais le cadre et la plaque ajourée en argent, ainsi que les trois bijoux-reliquaires n’ont pas quitté Saint-Cyr. Leur restauration s’est effectuée dans le presbytère attenant à l’église afin d’assurer une parfaite traçabilité des reliques.

La commune, en accord avec le Diocèse et selon les préconisations de la Conservation régionale des Monuments historiques, a pour sa part fait réaliser une vitrine sécurisée et disposant d’un contrôle du climat. La conception de cette vitrine a été pilotée par les services techniques municipaux avec l’aide d’un scénographe. Aménagée dans l’un des murs intérieurs de l’église, elle dispose de volets permettant d’alterner temps d’exposition et « dissimulation » du reliquaire.

Entre conservation, vénération et valorisation culturelle

La mise en vitrine devrait permettre d’assurer une meilleure conservation du reliquaire qui, jusqu’à la restauration récente, était conservé dans l’écrin de 1898 dont le revêtement intérieur en velours de laine dégageait des polluants soufrés. Il est prévu de vérifier régulièrement l’état du reliquaire et il a été préconisé de limiter au maximum les manipulations, ces dernières devant se faire, hors célébrations liturgiques, avec des gants en nitrile ou en latex.

Moyennant ces précautions, les ostensions pourront être maintenues sans porter préjudice à l’objet, selon les habitudes locales. En dehors de ces grands évènements, la mise en vitrine permettra de présenter les reliques à la vénération des fidèles et les bijoux à l’admiration des visiteurs, notamment à l’occasion des Journées européennes du patrimoine.


Helga Briantais Rouyer

Conservateur délégué des Antiquités et Objets d’Art

Cet article a notamment été rédigé à partir de l’article de Catherine Cernokrak, publié en 2015 dans la Revue de l’histoire de Versailles et des Yvelines, de celui de Benoît Constensoux rédigé en 2024, et des rapports d’étude et de restauration de 2024 et 2025.

La restauration du reliquaire de la Passion a été financée par la DRAC Ile-de-France (40%), la Région Ile-de-France (20%), le Département des Yvelines (20%) et la commune de Saint-Cyr-l’École (20%). La réalisation de la vitrine a été financée par la commune de Saint-Cyr dans le cadre d’un projet participatif.

Chacune à leur manière, les personnes suivantes ont contribué au projet de restauration du reliquaire : Mmes Géraldine Aubert, Morgann Fosse-Danglot, Léa Freydefont, Céline Girault et Astrid Gonnon, conservateurs-restaurateurs ; Mme Anne-Laure Flacelière, conservateur des Monuments historiques ; Mme Helga Briantais Rouyer, conservateur délégué des Antiquités et Objets d’Art des Yvelines ; Monseigneur Luc Crépy, évêque de Versailles ; Pères Olivier Turroques et Jacques Frachon, secrétaires de la commission diocésaine d’Art sacré ; Père Antoine Rolland-Gosselin, curé de la paroisse Saint-Cyr-et-Sainte-Julitte ; M. François Merle, commune de Saint-Cyr-l’École.

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