Découverte du mois de Décembre 2022
Une petite église pour une grande histoire à Thionville-sur-Opton (Maulette)
Alors que l’église Saint-Nicolas semblait perdue, une grande campagne de restauration a permis de la conserver. Ce sauvetage a suscité des découvertes inattendues sur le patrimoine et l’histoire locale !
La renaissance de l’église Saint-Nicolas
Située dans le hameau de Thionville-sur-Opton, dans la commune de Maulette, l’église Saint-Nicolas est un petit édifice sans prétention. Bâtie entre le XVe et le XVIe siècle, elle a connu une histoire mouvementée. Elle a plusieurs fois été menacée de démolition entre la période révolutionnaire et le XIXe siècle. Il ne reste aujourd’hui que le chœur de l’église, volume auquel elle a été réduite en 1821 en raison de l’état sanitaire du bâtiment. L’emplacement de la nef disparue est évoqué par des arbres plantés devant le chœur. Petit à petit abandonnée, l’église a parfois servi de local à la mairie au cours du XXe siècle.
Fragile et en mauvais état, elle menaçait de s’effondrer quand a été lancée une campagne de restauration considérable (entre 2019 et 2021) qui a révélé toute la richesse et l’intérêt patrimonial de l’édifice et des objets qu’il contient. Le pôle patrimoine du Département des Yvelines a participé activement à ce projet aux côtés de la commune et de la DRAC : sur le plan financier par le moyen de subventions, dans le cadre de ses dispositifs d’aide à la restauration du patrimoine bâti et mobilier, et sur le plan scientifique grâce l’activité de conservation des Antiquités et Objets d’Art rattachée au pôle. En ce qui concerne les objets mobiliers, ce travail a été mené par Catherine Crnokrak.
L’opération de restauration a sollicité de nombreux intervenants spécialisés dans le patrimoine historique et a concerné aussi bien l’édifice lui-même que les objets mobiliers de l’église. La commune a choisi de faire appel à un architecte des Monuments historiques. L’église n’est pas encore protégée au titre des monuments historiques, mais le retable du XVI-XVIIIe siècle (classé) et le relief du XVIe siècle (inscrit) qu'elle contient le sont. Les travaux et les recherches qu’ils ont nécessités ont permis de découvrir un certain nombre d’informations quant à l’histoire du lieu. Des premières phases d'étude à l'achèvement des différents travaux de restauration, chaque étape apportait son lot de révélations. Les chercheurs devaient effectuer des allers retours permanents pour recouper les différents renseignements. Il reste encore quelques secrets à percer !
Les traces de familles importantes de la fin du Moyen-Âge
Les travaux de restauration menés sur l’édifice aussi bien que sur les objets ont révélé des informations sur l’histoire du bâtiment et sur ses potentiels commanditaires. L’église de Thionville-sur-Opton a été bâtie vers la fin du XVe siècle. Cette datation, permise par le style architectural, correspond aux éléments découverts pendant les travaux. Les fondations de l'église et la nef sont toutefois probablement plus anciennes et remonteraient au XIe siècle.
En ce qui concerne l’édifice, une attention particulière a été portée à la conservation et la reconstitution des enduits extérieurs, vestiges du XVIe siècle : sous la direction de l'architecte des monuments historiques Stefan Manciulescu, maçons (entrepris MPR) et restauratrices de peintures murales (Marie Gouret et Géraldine Frey) ont travaillé ensemble à ces fins.
La restauration a notamment mis au jour la charpente du XVIe siècle de l’église (travail de l'entreprise Asselin) qui était masquée jusque-là par un plancher ajouté au cours du XIXe siècle, ainsi que des décors peints sur les murs intérieurs. Ces derniers sont fragmentaires mais de bonne qualité. Ils ont été dégagés du badigeon qui les recouvrait de manière à les rendre visibles. Sur la charpente comme sur les murs de l’église, des armoiries sont représentées : un blason sculpté sur l’entrait de la charpente et six blasons peints sur les murs (sur une litre funéraire).
Ces armoiries sont à mettre en lien avec le relief en pierre et les dalles funéraires présents dans l’église.
Le relief a été le premier objet restauré de l’église (atelier Giordani). Il est inscrit au titre des Monuments Historiques. Il s’agit d’une représentation de la Mise au tombeau du Christ. Il peut être daté par son sujet et son style du début du XVIe siècle. Il a été peint et doré à plusieurs reprises : on en voit encore les traces sur les costumes à l’orientale des personnages qui portent le Christ (Joseph et Nicodème).
La forme du relief permet d’imaginer son emplacement d’origine : au-devant d’un autel ou en ornement du tombeau d’un seigneur. Il n’y figure aucune inscription, mais la représentation d’un chevalier en armure accompagné de son saint patron à droite du relief permet d’établir des hypothèses quant à l’identité du donateur. Le saint est saint Gilles l’Ermite, reconnaissable à la biche qui se trouve auprès de lui, une référence à sa légende.
Il y a plusieurs armoiries représentées dans le petit espace de l’église. Si l’on en croit les textes qui évoquent les seigneurs de Thionville, ils sont plusieurs à se partager les droits sur ces riches terres agricoles du plateau. Au XVIe siècle, période de la construction du chœur, la famille principale est celle de Villequoy. Or, on connait par les documents un Gilles de Villequoy seigneur en 1551. Il y a une branche des Villequoy en Normandie dont l'un des membres porte des armes proches de celles observées dans l'église de Maulette (« D'azur, à trois coqs d'or, crêtés, membrés et barbés de gueules »).
Le seigneur du relief est probablement celui représenté en armure sur la dalle funéraire qui se trouve à l’entrée du chœur. Son nom est effacé mais la date de son décès est encore lisible et indique 1548. Il porte les armoiries de la famille sur un tabar, c’est-à-dire sur un tissu qui recouvre l’armure, qui ont été décrites au début du XXe siècle lorsqu’elles étaient encore lisibles. Ces armoiries comportent deux coqs et un croissant de lune, ce qui correspond aux armes de la famille Villequoy et se retrouvent sur une autre dalle et la litre funéraire peinte au mur de l’église. Il s'agit probablement du fils du seigneur mentionné dans les documents en 1551 ; ils portent le prénom Gilles de père en fils.
Les autres armoiries représentées dans l’église ne sont pas toutes déchiffrées. A part celles des Villequoy, on retrouve celles des Hallot, autre famille influente de la région et également originaire de Normandie. Une autre dalle funéraire semble d’ailleurs concerner la veuve d'un Gilles de Villequoy, Renée de Hallot.
Des sculptures de grande qualité marquées par les conflits religieux du XVIe siècle
Trois sculptures de saints ont été restaurées au cours de cette campagne, en 2020 : saint Nicolas, saint Eloi et saint Pierre. La restauration a été effectuée par Claire Dard et a eu lieu en partie dans le laboratoire du pôle patrimoine, au sein du bâtiment des Archives départementales des Yvelines.
Lors de la restauration, il a pu être observé que les trois statues portent des marques similaires de cassures et de réparations anciennes. Les dégâts attestent de destructions volontaires qui semblaient viser spécifiquement la tête et les mains des statues. Les résidus de terre qui se trouvaient dans les creux des sculptures indiquent qu’elles sont restées au sol un certain temps avant d'être réparation. Ces réparations sont assez maladroites, comme l’attestent les problèmes de proportion de la tête de saint Nicolas (trop grosse pour son corps) ou ceux des corps des enfants qui l’accompagnent. D’autres réparations au plâtre, cachées par un badigeon, ont été mises au jours lors de la restauration.
Ces destructions sont le témoin d’une histoire violente. Dans les registres paroissiaux, en 1596, le curé constate l’absence d’inscription d’actes car les gens de Thionville se sont tous retirés à Houdan. Cette période correspond à la dernière phase de la guerre de la Ligue qui se déroule dans la région : suite à la Bataille d’Ivry et la reddition de Mantes (1590), le roi Henri IV, alors basé à Mantes, prend Dreux en 1593. L’année suivante, il est sacré roi de France à Chartres.
Les trois statues présentent une grande qualité de sculpture et des décors raffinés, masqués jusque-là par le badigeon qui les recouvraient. Le calcaire, très blanc et très fin, était finement sculpté de riches ornements pour les vêtements liturgiques des statues de saint Nicolas et saint Eloi. La tête originale qui subsiste est d’un grand raffinement dans la recherche de l’expression. Les ornements étaient peints avec la virtuosité des spécialistes de cette période (des glacis de laque), le tout abondamment rehaussé de dorure. Par exemple, le saloir des trois enfants de la légende de saint Nicolas était entièrement doré.
La statue de saint Pierre est sculptée dans un matériau différent, elle est plus tardive. Elle peut être datée du XVIe siècle par comparaison avec des oeuvres semblables dans la région.
L’église après le XVIe siècle : ajouts et remaniements
Outre les nombreux éléments du XVIe siècle mis au jour lors de la restauration de l’édifice, des objets témoignent de l’histoire du lieu après le XVIe siècle.
Dans les combles de l’édifice a été trouvée une cloche de la fin du XVIIIe siècle. Sans doute placée à cet endroit suite à la démolition de la nef de l’église en 1821, cette cloche est aujourd’hui présentée dans la sacristie. Il fallait en effet trouver un nouvel emplacement pour la cloche, le plancher construit au XIXe siècle ayant été retiré lors de la restauration du bâtiment de manière à pouvoir restituer et rendre visible la voûte lambrissée. Cette opération a permis de redécouvrir la dédicace de la cloche qui indique : « L’an 1776 j’ai été bénie par Mr Jean Louis Lair curé de cette paroisse et nommée par / Messire Charles François Thorin conseiller au Parlement de Besançon seigneur de Thionville / et par dame Marie Geneviève Victoire Polisse son épouse du temps de Charles Godard / marguillier ». Une autre marque permet d’identifier le fondeur qui a fabriqué la cloche, Michel Desprez.
Seul élément classé au titre des Monuments Historiques, le retable de l’église a été entièrement démonté pour sa restauration. Le retable est une composition d'éléments des XVIIe et XVIIIe siècles, reprise au XIXe siècle et uniformisée par une peinture bleue qui recouvre les boiseries. L’intervention du restaurateur (atelier Giordani) a nécessité un dépoussiérage de l’ensemble, des traitements insecticide et anti fongique, des consolidations ponctuelles et un remplacement des parties trop abîmées. Le retable ne comporte plus de tableaux, probablement perdus depuis longtemps. Il a été choisi d’installer des toiles de lin unies dans les cadres vides.
Cette grande opération de restauration a permis de sauver cette église chargée d’histoire mais aussi de révéler la valeur patrimoniale de cet édifice et des objets qu’il contient. L’église peut être visitée à certaines occasions, par exemple lors des Journées du Patrimoine !
Dossier suivi et documenté par Catherine Crnokrak pour le PSTP.
Article : Pamina Weité
En savoir plus :
- Marie-Hélène Didier, Maïté Richou-Huyghe, Stefan Manciulescu et Catherine Crnokrak, « Le sauvetage d’une belle endormie : l’église Saint-Nicolas de Thionville-sur-Opton », Revue de l’histoire de Versailles et des Yvelines, tome 104, 2022.
- Site internet de la Sauvegarde de l’Art Français, page dédiée au projet de restauration de l’édifice auquel la Fondation a participé .