Découverte du mois d'Octobre 2023
Un portrait de princesse du 18e siècle restauré par le Département des Yvelines
Un mystérieux portrait du XVIIIe siècle représentant une princesse royale a récemment été restauré par le Département des Yvelines. Ce tableau a la particularité de posséder au dos un certain nombre d'informations étonnantes qui nous renseignent sur l'histoire de l'œuvre… mais qui prêtent aussi à confusion ! Retour sur l’opération de restauration et sur l’histoire de ce tableau.
Une question d'identité : une princesse de sang
L'œuvre n'est pas grande : haute d'environ 75cm avec son cadre doré, large d'une soixantaine, son format n'a rien d'impressionnant. Toutefois, elle dégage un certain charme et attire le regard. Posée sur un chevalet, elle ressemble à un miroir. De l'autre côté, une jeune femme nous fait face : yeux bleus, cheveux coiffés et poudrés, joues roses, toute vêtue de rubans et de dentelles. Tout laisse entendre qu'il s'agit d'un portrait du XVIIIe siècle représentant une personne de haut rang. Une princesse, sans doute. Mais laquelle ?
D'une princesse à l'autre : différentes pistes
Le portrait n'est pas signé, ni daté. Toutefois, au dos de la toile figurent plusieurs inscriptions, dont une identification de la princesse représentée : " Elisabeth Philippine Marie Hélène de France (Madame Elisabeth), petite fille du Roi Louis XV & 4e fille de Louis de France, Dauphin, et de Marie Josephe de Saxe, sa seconde femme. Née le 3 Mai 1764. Morte le 10 Mai 1793 ".
Cette inscription n'est pas d'origine. Elle comporte d'ailleurs une erreur de date, Mme Elisabeth ayant été guillotinée le 10 mai 1794 et non 1793. Les autres informations au dos du tableau indiquent une date, "1920" (peut-être la date à laquelle aurait été inscrits ces information au revers de la toile ?), ainsi qu'un numéro d'inventaire "MV 7533". Ce numéro d'inventaire est celui du musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, propriétaire de l'œuvre. Ce numéro a permis de retrouver la fiche de l'œuvre sur la base Joconde, qui indique quant à elle qu'il s'agit d'un portrait de Marie-Adélaïde de France. Cette information entre en contradiction avec ce qui est noté à l'arrière de la toile.
Par ailleurs, il existe un portrait tout à fait similaire - si ce n'est pour son format rond - appartenant également aux collections du château de Versailles (inventorié MV 7429) dont la fiche identifie la princesse représentée comme Louise-Marie de France, tandis que celle de sa photographie indique Louise-Marie-Thérèse-Bathilde d'Orléans ou Louise-Adelaïde de Bourbon Condé... Les photographies les plus récentes de cette œuvre référencent toute fois le portrait comme celui de Marie-Adélaïde de France.
La question se pose alors : parmi toutes ces possibles identifications, laquelle retenir ?
Un portrait de Madame Adélaïde ?
Le portrait a de toute évidence été identifié différemment au cours du temps. Parmi ces différentes pistes, il est toutefois possible d'en évacuer plusieurs en s'appuyant sur la mode vestimentaire de la princesse représentée, et sur la comparaison avec d'autres portraits.
Madame Elisabeth, dont le nom figure au revers du tableau, a été représentée à plusieurs reprises, notamment par Elisabeth Vigée Le Brun. Bien que les femmes puissent se ressembler, le style vestimentaire de la jeune femme représentée sur notre portrait ne correspond pas à la mode du temps de Madame Elisabeth. Les rubans, dentelles et la coiffe de la princesse du portrait correspondent à la mode du milieu du XVIIIe siècle, tandis que les robes moins ornées et les coiffures plus libres de Madame Elisabeth datent des années 1780. Née en 1764, Madame Elisabeth était de fait trop jeune pour ce portrait. De même d'ailleurs pour Louise-Marie-Thérèse-Bathilde d'Orléans (1757-1824) et Louise-Adelaïde de Bourbon Condé (1750-1822). Marie-Adélaïde de France, née en 1732, était quant à elle du bon âge à l'époque concernée.
Marie-Adélaïde de France (1732-1800), dite Madame Adélaïde, était l'une des filles du roi Louis XV et de Marie Leszczynska, ainsi que la tante du roi Louis XVI et de Madame Elisabeth. Il existe plusieurs portraits la représentant, parmi lesquels ceux du peintre Jean-Marc Nattier, qui permettent une comparaison (bien qu'il s'agisse de représentations souvent assez idéalisées). Le portrait semble avoir été réalisé au début des années 1760 ; Madame Adélaïde était alors âgée d'environ 30 ans. L'hypothèse d'un portrait de la princesse semble pouvoir se confirmer.
Un doute subsiste toutefois : sa jeune soeur, Louise-Marie de France (1737-1775), également connue par d'autres portraits, pourrait être une bonne candidate. Des portraits de cette dernière sont attribués au même peintre, à la même époque, et une différence est notable... tandis qu'aucun autre portrait de Madame Adélaïde par François-Hubert Drouais n'est connu (ou recensé, tout du moins). L'hypothèse d'un portrait de Madame Adélaïde est la plus probable, et c'est celle que nous retiendrons - mais les deux soeurs sont proches physiquement, aussi est-il difficile de se prononcer avec une certitude totale sans document d'archives qui permettent de trancher la question.
Un tableau du XVIIIe siècle
Si l'identité de la princesse représentée semble avoir fait l'objet de différentes hypothèses, il n'en est pas de même du peintre, ou du moins du peintre d'origine. En effet, le portrait est indiqué sur les fiches des œuvres comme une copie d'après François-Hubert Drouais.
François-Hubert Drouais (1727-1775) était un peintre de la cour, spécialisé dans les portraits. Il était le fils du peintre miniaturiste Hubert Drouais et fut l'élève d'artistes réputés, comme Carl Van Loo ou François Boucher. Il a été reçu à l'Académie royale de peinture en 1758. Au cours de sa carrière, il a travaillé notamment pour Madame de Pompadour et Madame du Barry. Il a réalisé de nombreux portraits de la famille royale et de la noblesse.
Il n'est pas étonnant de retrouver plusieurs versions d'un portrait d'un membre de la famille royal. Davantage qu'une copie d'après un portrait original du peintre, il s'agirait plutôt d'une production de l'atelier du peintre. La restauration a permis de confirmer une datation de l'œuvre au XVIIIe siècle et de constater la qualité de la peinture. L'autre portrait figurant dans les collections du château de Versailles est également considéré comme un tableau de l'atelier de François-Hubert Drouais. Sans l'attribuer directement au peintre, on peut considérer que ce portrait a également été produit par son atelier.
Les traces d'une histoire inconnue : retour sur la restauration
Avant sa restauration, le portrait présentait plusieurs problématiques, dont la plus important consistait en des déformations de la toile qui engendraient des soulèvements de la couche picturale. La restauration a concerné à la fois la peinture, le support (toile et châssis) et le cadre. L'opération a été effectuée en 2023 par Siuan Calandri, restaurateur-conservateur.
Le support : toile et châssis
La restauration du support était le point le plus important de cette opération : il s'agissait non seulement de traiter les déformations de la toile et de lui rendre sa planéité, mais aussi de conserver le châssis, manifestement ancien, ainsi que de garder visible les inscriptions au dos de la toile, pour leur aspect documentaire. La toile a été déposée pour permettre son traitement : dépoussiérage, nettoyage, reprise des déformations par humidification et mise sous poids, consolidation. Afin de conserver les inscriptions, il a été choisi de ne pas marquer la toile originale. Des bandes de toile polyester ont été posées sur les bords de la toile afin de la tendre sans contrainte ; cela permettait notamment d'éviter la tension du châssis qui marquait la peinture à l'endroit du portrait.
Le châssis lui-même a été nettoyé, traité et consolidé. Le système d'assemblage a été révisé. Il a été créé un doublage et un chanfrein en liège afin d'amélioré sa tenue.
La couche picturale
La couche picturale était marquée par les déformations de la toile. Plusieurs réseaux de craquelures étaient visibles, causées non pas uniquement par l'âge, mais par les problèmes du support. Cela entrainait une perte d'adhésion de la matière qui se soulevait et s'écaillait. Une fois la toile aplanie, le restaurateur a travaillé à rétablir cette adhérence et reprendre les réseaux de craquelure. Cela consiste en des injections d'un adhésif, régénéré par la chaleur à l'aide d'une spatule chauffante et une pression mécanique.
Le travail sur la couche picturale a consisté en diverses opérations : nettoyage, décrassage, allègement des vernis et retrait des repeints (dus à de précédentes restaurations), masticage des lacunes, réintégration picturale et vernissage. L'œuvre comportait également des traces de réparations et repeints antérieurs, mais son état de conservation général est très bon et atteste de la qualité technique de sa réalisation.
Le cadre
Le cadre a également fait l'objet d'une restauration afin de réviser les assemblages, le consolider et reprendre ses lacunes. Les retouches et la dorure ont été réalisées de manière à harmoniser l'ensemble tout en conservant la patine du temps.
Il ne s'agit pas du cadre d'origine. Il est d'ailleurs intéressant de noter que le portrait comporte les traces d'un ancien cadre, ce qui permet d'en déduire que le tableau a changé de format à un moment ou un autre. Les marques laissent deviner un format ovale plus aplati, moins haut que l'actuel.
L'opération de restauration a permis d'entretenir le portrait et d'assurer sa conservation pour les années à venir. C'était également l'occasion de se pencher sur l'histoire de l'oeuvre. Madame Adélaïde n'a pas livré tous ses secrets, mais elle a retrouvé ses couleurs et le charme du portrait n'en est que ravivé.
Dossier suivi par Pamina Weité pour le PSTP.
Article : Pamina Weité (PSTP)