Archives départementales des Yvelines

Découverte du mois de Juillet 2023

Les secrets du relief en albâtre d'Etang-la-Ville

Dans l'église Notre-Dame-Sainte-Anne d'Etang-la-Ville se trouve un beau relief en albâtre aux origines bien mystérieuses. Classée au titre des Monuments historiques depuis 1907, cette oeuvre sculptée nous est parvenue avec très peu d'informations. D'où vient-elle ? Que représente-t-elle ? Qui l'a réalisée ? A quelles fins ? Rien ne nous l'indique avec certitude. Seuls renseignements connus : un titre attribué, "La Dispersion des apôtres", et une époque de création estimée au XVIIe siècle.

La Dispersion des apôtres, relief en albâtre (XVIIe siècle), Notre-Dame-Sainte-Anne (Etang-la-Ville)
La Dispersion des apôtres, relief en albâtre (XVIIe siècle), Notre-Dame-Sainte-Anne (Etang-la-Ville)

©CD78, C. Garguelle, juin 2023 (après repose)

Entre 2022 et 2023, l'oeuvre a fait l'objet d'une opération de restauration et de recherche dans le cadre d'un travail d'étude pour le Diplôme national supérieur d'expression plastique (TALM, Tours) avec l'autorisation de la commune et de la conservatrice des Monuments historiques (et accompagné à ce titre par la Conservatrice des antiquités et objets d'art du Département des Yvelines). Leïla Léourier-Cavusoglu, qui a effectué ce travail, a réalisé son mémoire à partir de cette intervention. Les recherches portaient notamment sur les techniques de restauration de l'albâtre à partir de ce cas pratique. A cette occasion, de nombreuses analyses ont pu être effectuées et dévoiler quelques-uns des secrets de l'objet !

Cet article est basé en grande partie sur ce mémoire (cf. références en fin d'article).

Une oeuvre narrative

L’œuvre est accrochée au mur de l’église depuis le XIXe siècle. Il s’agit d’un haut-relief en pierre, présenté dans un cadre en bois, d’environ 91cm de haut pour 139cm de large. Daté du XVIIe siècle et protégé au titre des Monuments historiques depuis 1907 (cl. M.H), ce relief est une œuvre de belle qualité : la taille est précise et détaillée, le travail des drapés est raffiné et les expressions sont bien modélisées.

Eglise d'Etang-la-Ville
Eglise d'Etang-la-Ville

La sculpture présente une scène figurative composée de douze personnages masculins vêtus de toges antiques ou d’habits du XVIIe siècle, un mélange de vêtements contemporains de la scène religieuse représentée et de l’époque de réalisation du relief sculpté. Un paysage se devine à quelques éléments : des formes simplifiées qui suggèrent des montagnes et des motifs de brins d’herbe.

Rassemblés par groupes de deux ou trois, les personnages sont répartis sur l’ensemble du relief. Un duo attire l’attention vers le centre de l’œuvre : les deux personnages se font face, front à front, celui de gauche portant une main à la poitrine de l’autre dans un geste de bénédiction. Tout autour, les positions des différents groupes impulsent une dynamique à la scène. Chaque personnage adopte une attitude différente. Les postures et les regards établissent des liens entre chaque groupe tout en attirant l’attention sur le duo central. Les bâtons que certains tiennent à la main produisent des lignes verticales qui apportent un équilibre à la composition. La scène est très animée et expressive.

Le relief est traité avec des jeux de profondeurs qui tiennent à la technique de sculpture. Un haut-relief est un type de sculpture qui combine la ronde-bosse (sculpture en trois dimensions dont on peut faire le tour) et le bas-relief (sculpture qui est engagé de moitié dans un fond). Au premier plan, les sept personnages se détachent fortement du fond, tandis que les cinq figurant à l’arrière n’en ressortent que légèrement. Les trois plans successifs de la scène sont de cette manière accentués par la sculpture, tandis que quelques éléments de taille apportent de la texture au relief et accrochent la lumière.

Détail du haut-relief (après restauration)
Détail du haut-relief (après restauration)

Comment lire cette scène ? L’iconographie est rare et possède plusieurs interprétations possibles. Le titre attribué à l’œuvre, La Dispersion des apôtres, ainsi que la scène représentée renvoient à deux épisodes possibles du Nouveau Testament : l’appel des douze apôtres et leur envoi en mission d’évangélisation et de guérison, ou l’apparition du Christ ressuscité aux apôtres recevant la mission d’évangéliser les peuples. Ces deux épisodes sont rapportés différemment selon les textes, et la liberté d’expression de l’artiste ou les spécificités de la commande peuvent faire varier la manière de traiter le sujet. Dans les deux cas, les personnages représentés sont identifiés comme des apôtres, avec la présence du Christ dans le duo central. Les apôtres eux-mêmes sont difficilement reconnaissable, à part Saint Pierre qui est identifiable aux clefs qu’il porte à sa ceinture. Il est possible que le relief appartenait à l’origine à un ensemble narratif composé de plusieurs œuvres.

Des origines inconnues

Les origines de ce relief font l’objet de plusieurs hypothèses. La documentation le concernant est faible. Il a été donné à l’église Notre-Dame-Sainte-Anne d’Etang-la-Ville avant 1896 par l’artiste sculpteur Baptiste Gustave Deloye (1838-1899). Ce dernier l’a acquis à une date inconnue (entre 1879 et 1896) en échange de la réalisation de portraits pour le comte et la comtesse Telfener. Au-delà de ces informations, l’historique de l’objet n’a pas pu être retracé. Quelques photographies permettent d’attester la présence du relief dans l’église d’Etang-la-Ville ainsi que son état en 1896, 1925 et 1980. Elles constituent les principales sources documentaires le concernant.

Détail du haut-relief : une inscription est visible au bas de l'œuvre
Détail du haut-relief : une inscription est visible au bas de l'œuvre

©CD78, C. Garguelle, juin 2023 

La datation du relief, assez incertaine, se base sur deux informations : l’analyse stylistique de la sculpture et l’inscription qui figure au bas de l’œuvre.

Il existe différentes hypothèses quant à l’interprétation de cette inscription. On y lit généralement ADK (ou ADC), puis un signe représentant un 5 suivi de CLXX. Le tout est lu comme « en l’an du Seigneur 1670 ». En effet, AD correspondrait au latin Anno Dominiqui signifie « en l’année du Seigneur ». Le K et le signe qui le suit sont parfois lu comme des abréviations grecques des nombres 1000 et 500. Combinées au nombre CLXX (170), cela indique la date 1670. Cette inscription indique une datation précise, toutefois il est impossible de certifier si elle est originelle ou postérieure à la création du relief.

Détail du haut-relief
Détail du haut-relief

Le style du relief démontre une belle maîtrise de la taille de pierre. La proportion des corps humain est parfois quelque peu étrange (mains et pieds trop grands, ou têtes trop petites). Dans l’ensemble, il correspond à une datation du XVIIe siècle, mais certains éléments semblent plus anciens et se rapprocheraient davantage d’une esthétique de la fin du XVIe siècle. Le traitement du personnage à la toute droite du relief est plus grossier que le reste de l’œuvre et pourrait être d’une main différente.

Le style de la sculpture témoigne d’une inspiration italienne, notamment dans la manière de traiter les drapés. Toutefois, on observe une technique caractéristique d’Europe de l’Est : un guillochage en motifs de zigzag qui texturent la pierre et accrochent la lumière. Cette technique, empruntée à la sculpture sur bois ou ivoire, est nommée Wuggelung ou Tremolierung et réalisée à la gouge ou au couteau.

Le cadre est quant à lui bien plus récent que le relief : le style, les techniques de coupe industrielles et l’assemblage permettent de le dater du XIXe siècle.

Des analyses ont été réalisées sur la pierre afin de l’identifier et de définir sa provenance. Il y avait une incertitude quant à l’identification du matériau, entre le marbre ou l’albâtre, qui sont souvent confondus : les deux pierres possèdent une blancheur, un aspect translucide et un veinage similaire. L’analyse a été réalisée selon la technique de spectroscopie dans l’infrarouge proche (SPIR, ou NIRS en anglais), qui est non destructive et permet de mesurer des longueurs d’onde à partir de spectres de réflexion afin de déterminer des compositions chimiques. Cette analyse a permis de confirmer qu’il s’agit d’un albâtre gypseux. L’albâtre est fréquemment employé pour la sculpture durant la Renaissance en Europe.

Une seconde analyse a également permis de déterminer la provenance de cet albâtre. Il est en effet possible d’identifier l’aire de provenance du matériau en fonction de ses caractéristiques chimiques : il y a des variations géographiques dans la composition des roches (qui sont affectées par celle de l’eau salée lors de leur formation). L’albâtre du relief provient de Franconie (région correspondant globalement à la Bavière, en Allemagne). La provenance du matériau correspond à ce qui a été déduit par l’analyse stylistique du relief et confirme une probable origine d’Europe de l’Est.

Toutefois, nous n’avons aucune connaissance du contexte de création ou de la fonction originelle de l’œuvre.

L'opération de restauration

La restauration a été effectuée par Leïla Léourier-Cavusoglu dans le cadre d’un travail de fin d’étude pour Diplôme National supérieur d’expression Plastique (TALM, Tours).

Au cours de l’opération, il a pu être constaté que le relief avait subit plusieurs interventions de réparation et de restauration, et qu’il avait été fragmenté à plusieurs reprises. Ces anciennes interventions impactent l’état de l’œuvre, mais aussi sa compréhension.

L’état du relief avant la restauration était assez préoccupant : il présentait de nombreuses fractures, des traces de chocs, des fissures, des rayures, des éclats, des lacunes, un encrassement généralisé et des altérations dues aux anciennes réparations (par exemple, les cires et produits de bouchage et de finition qui avaient changé de couleur et s’écaillaient avec le temps). Tout cela engendrait un manque de lisibilité de l’œuvre et des zones de fragilité. Le cadre était également atteint : d’anciennes infestations d’insectes avaient laissé des trous et des galeries dans le bois, certaines pièces étaient déformées, les éléments métalliques se corrodaient. A cela s’ajoutait des problèmes d’empoussièrement et d’écaillement de la peinture.

La Dispersion des apôtres avant restauration
La Dispersion des apôtres avant restauration

Le relief a été totalement démonté pour les besoins de la restauration. Il est composé de plusieurs éléments. Le démontage a permis de confirmer que certaines séparations n’étaient pas dues à des fractures mais bien à des coupes volontaires, sur lesquelles on peut observer des traces d’outils. Il est dans l’état impossible de déterminer si les différents éléments sont d’origine ou seraient des ajouts postérieurs (dans le cadre d’une réfection d’éléments préexistants ou d’une nouvelle création complémentaire). Les remaniements sont dans tous les cas nombreux et successifs : il est possible de différencier trois générations d’albâtre entre l’état originel et l’état actuel.

Le relief "La dispersion des apôtres" reposé dans l'église
Le relief "La dispersion des apôtres" reposé dans l'église

©CD78, C. Garguelle, juin 2023 

L’opération de restauration a consisté en différents traitements : dépose des éléments pour traitement, purge du plâtre, dépoussiérage et décrassage, nettoyage, bouchages ponctuels des microfissures, retouches et restitutions de parties manquantes, repose et fixation du relief dans un nouveau système de maintien dans le cadre. Toutes les étapes ont fait l’objet de tests afin de déterminer les meilleurs procédés et mélanges selon les réactions de l’albâtre, aussi bien en ce qui concerne les méthodes de nettoyage que les produits pour le bouchage et les finitions. En ce qui concerne les restitutions, il a été possible de s’appuyer sur la documentation photographique afin de connaître les précédents du relief.

Le cadre a été traité séparément : bien que n’étant pas d’origine, il a été conservé et restauré en raison de son intérêt historique et la protection au titre de Monuments historique qui le lie au relief.

Reposé dans l'église en le 29 juin 2023, le relief a retrouvé sa place dans son lieu d'accueil. L'opération de restauration lui a rendu sa lisibilité. Le travail effectué dans le cadre de cette intervention a permis de dévoiler quelques-uns de ses mystères, mais les inconnues sont encore nombreuses. L'oeuvre a été enregistrée dans des programmes de recherche et des bases de données scientifiques. Les informations obtenues pourront contribuer à la recherche future et, qui sait, peut-être révéler à l'avenir d'autres secrets !

Dossier suivi et documenté par Cécile Garguelle, responsable du PSTP.

Restauration et recherches : Leïla Léourier-Cavusoglu.

Article : Pamina Weité.


En savoir plus :

  • Leïla Léourier-Cavusoglu, La Dispersion des apôtres. Etude et conservation-restauration d'un haut-relief encadré. Recherche d'un matériau de bouchage de finition de l'albâtre gypseux en atmosphère non contrôlée, mémoire de Master présenté dans le cadre du Diplôme National Supérieur d'Expression Plastique, Ecole Supérieure d'Art et de Design (TALM, Tours), 2022-2023.
  • Notice POP : La Dispersion des apôtres, relief en albâtre du XVIIe siècle, église Notre-Dame-Sainte-Anne, Etang-la-Ville
  • ILIAD3, Centre d’Expertise et de Transfert Universitaire (CETU) de l’Université François Rabelais de Tours dédié à la valorisation de la Recherche dans le domaine de l’ingénierie logicielle en traitement d'images et numérisation 3D
  • Programme de recherche de la Fondation des Sciences du Patrimoine : Les sculptures en albâtre en France du XIVe au XVIe siècle (Albâtre) 
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