Archives départementales des Yvelines

Découverte du mois de Décembre 2023

Un meuble d’architecture et de peinture : le retable de Sandrancourt (Saint-Martin-la-Garenne)

La chapelle Sainte-Anne, située dans le hameau de Sandrancourt (commune de Saint-Martin-la-Garenne), abrite un retable du XVIIe siècle qui a fait l’objet d’une restauration globale en 2022-2023. Cette opération, accompagnée et soutenue par le Pôle Sauvegarde et Transmission des Patrimoines du Département des Yvelines, a permis de mettre en lumière ce mobilier monumental.

Le retable de la chapelle Sainte-Anne, Sandrancourt (commune de Saint-Martin-la-Garenne)
Le retable de la chapelle Sainte-Anne, Sandrancourt (commune de Saint-Martin-la-Garenne)

©Atelier Seigneury, octobre 2023

Un meuble monumental

Le retable de la chapelle Sainte-Anne
Le retable de la chapelle Sainte-Anne

©CD78, octobre 2023

Un retable est un meuble religieux chrétien qui accompagne l’autel, la table consacrée servant à la célébration de la messe. Le terme provient du latin retro tabula : retro « derrière » et tabula« table » ou « autel »). A l’origine, le retable était simplement un rebord qui servait à poser les objets liturgiques. Il se transforme au fil du temps, et à partir du XIe siècle, le retable prend la forme d’une véritable structure architecturée en bois ou en pierre située derrière l’autel.

Un retable architecturé s’apparente à une paroi surélevée, ornée de décors architecturaux, de sculptures et de peintures, selon l’époque et le style. Il en existe une grande variété mais la structure d’un retable se divise généralement en trois parties : une partie basse (parfois composée de gradins ou de panneaux peitns), une partie centrale qui accueille souvent une peinture (et parfois des volets), et une partie haute (couronnement). La réalisation d’un retable nécessite la collaboration de plusieurs artisans, selon sa forme et les matériaux employés : menuisiers et ébénistes, sculpteurs, doreurs, peintres, etc.

Le parement d'autel en atelier (après dépose)
Le parement d'autel en atelier (après dépose)

Retable en cours de restauration à l'Atelier Seigneury

©CD78, 2023

Le retable de Sandrancourt

Dans la chapelle Sainte-Anne de Sandrancourt, le retable est de type architecturé. En bois de chêne peint (blanc, jaune, rouge et vert), il date du XVIIe siècle. Sa partie basse est composée de gradins ornés de motifs floraux. De chaque côté, deux petits tableaux prennent place sur des piédestaux. Les piédestaux supportent chacun une paire de colonnes torses à feuillage qui encadrent une grande peinture en partie centrale. Le tout est surmonté par un entablement, où trône une dédicace, et un fronton brisé.

Cette structure, qui évoque un portique de temple antique, est caractéristique du XVIIe siècle. L’agencement spécifique de ce retable architecturé, avec son fronton brisé, est fréquent dans la région à cette époque. Habituellement, une niche abritant une statue prend place au centre du fronton brisé, au sommet du retable. Ici, cette niche est absente. Le vide ainsi laissé permet de laisser passer la lumière qui filtre à travers la fenêtre de l’abside.

Le retable repose sur un autel à parement, c'est-à-dire un autel droit, en pierre ou en maçonnerie, recouvert d'un parement d’autel, ici des panneaux de bois peint contemporains du retable (XVIIe siècle). L’autel en pierre est très ancien : il porte les traces d’un décor peint datable du premier Moyen-Âge. Le retable a été installé ultérieurement par-dessus cet autel, qui date probablement de la construction de la chapelle.


L’opération de restauration

Le retable a été déposé durant l’été 2022 pour procéder à la restauration de l’ensemble : structure en bois, tableau et panneaux peints, décors. L'opération a nécessité l’intervention de restaurateurs spécialisés : l’atelier Seigneury a travaillé sur la partie structurelle en bois, et l’atelier de l’Aube sur les parties peintes (tableaux et décors).

L’opération sur le retable a révélé la nécessité d’intervenir également sur le bâtiment : lors de la dépose du retable, il a pu être constaté que le mur derrière était particulièrement dégradé. Des travaux ont été effectué à cette occasion, avant de reposer le retable restauré.

L’autel comportait un décor de fleurs de lys en relief et des armoiries au centre, non identifiées mais visibles lors du nettoyage du devant d’autel en bois. Ce décor avait été bûché à la Révolution et recouvert par une peinture faux-marbre, ornée d’un cœur au centre du panneau. Ce décor ultérieur de réalisation grossière a été supprimé lors de la restauration de manière à pouvoir harmoniser le décor du parement d’autel. Il a été choisi de faire réapparaitre les fleurs de lys qui étaient assez bien conservées et de les rehausser légèrement à la peinture (aquarelle couleur or). Quant au blason central, l’état de conservation et les sources écrites ne permettaient pas de déterminer les armoiries qui étaient représentées. Il a donc été choisi de suggérer son emplacement sans toutefois le refaire entièrement.

Retable avant restauration
Retable avant restauration

Les peintures du retable

Le tableau du maître-autel

Le tableau principal du retable, que l’on appelle tableau du maître-autel, est une peinture à l’huile sur toile représentant une Adoration des bergers. Il s’agit d’un épisode du Nouveau Testament (relaté dans l’Evangile selon Luc) dans lequel les bergers à proximité de Bethléem, informés par des anges de la naissance de l’enfant Jésus, viennent se prosterner devant ce dernier et célébrer l’évènement.

La scène est facilement identifiable. L’enfant est couché au centre de la peinture, présenté par la Vierge Marie qui ouvre son lange de la main droite, agenouillée à ses côtés. Vêtue d’une robe rouge et d’un manteau bleu, la main gauche sur la poitrine, elle regarde le spectateur. Joseph est agenouillé derrière elle. Les bergers sont assemblés autour d’eux, vêtus d’habits sans doute contemporains de l’œuvre. Ceux face à l’enfant ont enlevé leurs chapeaux. Celui agenouillé au premier plan a déposé un agneau. Un autre, à l’arrière, éclaire la scène à la bougie. L'assemblée est composée également de femmes, dont l’une porte un bébé dans ses bras. Un bœuf et un âne complètent le groupe, juste derrière l’enfant Jésus. 

Dans la partie haute, le ciel s’ouvre sur un groupe de putti (des enfants nus) ailés, entourés de nuages. En arrière-plan, à gauche, on distingue une autre scène esquissée : un ange survole trois bergers, accompagnés de leurs moutons. Cette partie évoque l’annonce aux bergers de la naissance du Christ par les anges, passage qui précède l’Adoration qui est le sujet principal du tableau.

Le tableau après restauration
Le tableau après restauration

©Atelier de l'Aube, 2023

Le peintre et la date exacts du tableau sont inconnus ; il n’est ni daté, ni signé. L’opération de restauration a toutefois permis de reculer cette estimation : en se basant sur les éléments matériels (toile, châssis, etc.), il est maintenant daté de la fin du XVIIe siècle. La peinture présente un style naïf. Elle est empreinte de maniérisme, avec un jeu de clair-obscur et des couleurs vives et lumineuses, aux tons acides. Il y a un certain dynamisme dans la composition, dans laquelle on peut déceler une certaine influence italienne et praguoise. Le courant maniériste, originaire d’Italie et bien établit en Europe au milieu du XVIe siècle, se développe à la cour des Habsbourg sous le règne de Rodolphe II. Prague, capitale du Saint Empire romain germanique, devient l’un des pôles du maniérisme. Le tableau du retable de Sandrancourt peut être rapproché par sa composition, ses coloris et sa lumière froide d’œuvres de ce mouvement, comme celles de Joseph Heintz (1546-1609), peintre suisse représentant du maniérisme praguois. La facture du tableau est toutefois maladroite, et le châssis n’est pas tout à fait adapté au format de la structure : il pourrait s’agir de la réalisation d’un artiste local ou d’une copie d’un original aujourd’hui perdu.

La restauration du tableau du maître-autel

Avant l’opération, le tableau présentait un très mauvais état de conservation : perte de tension de la toile, oxydation du support, déchirures, empoussièrement, perte d’adhérence de la couche picturale, craquelures et soulèvements, lacunes, usure du vernis, nombreux repeints. Le tableau n’était accessible que par l’arrière du retable ; le démontage du meuble était nécessaire pour pouvoir le déposer. La restauration a permis d’assainir, traiter et consolider la toile. L’ancien châssis, bien que d’origine, n’a pas pu être conservé en raison de son état : vermoulu, il n’était pas assez résistant pour supporte la toile après sa remise en tension. Il a été remplacé par un nouveau châssis. La couche picturale a été nettoyée, les repeints supprimés, le vernis jauni supprimé. Cela a permis de retrouver le dessin, le modelé et les couleurs de la peinture. Les lacunes ont été comblées et retouchées de manière à redonner sa lisibilité et une harmonie à l’œuvre.

Le tableau au moment de la dépose du retable (avant restauration)
Le tableau au moment de la dépose du retable (avant restauration)

Les panneaux peints

Les deux panneaux situés de chaque côté du retable ont également été restaurés lors de cette opération. Le premier représente la Visitation (visite de la Vierge Marie à sa cousine Elisabeth, les deux femmes étant enceintes) et le second, la Fuite en Egypte (fuite de Joseph, Marie et l’enfant Jésus de Bethléem pour échapper au massacre mené par le roi Hérode). Ces deux peintures sur bois, toutes les deux d’une belle qualité d’exécution, mettent en avant le paysage dans un style d'inspiration italienne. On retrouve également des éléments flamands, comme les moulins représentés en arrière-plan de la Fuite en Egypte. 

Les tableaux ne sont pas datés, mais l’un des deux porte une signature (illisible) et une date (1788) correspondant à des repeints, donc postérieurs à la réalisation de ces peintures. Toutefois, il est évident qu’ils ont été exécutés par un artiste différent que celui qui a peint le tableau du maître-autel – soit un artiste local influencé par le productions flamandes et italiennes, soit un artiste flamand de passage, revenant d’Italie en suivant la vallée de la Seine, comme cela était courant.

La Fuite en Egypte : avant le nettoyage
La Fuite en Egypte : avant le nettoyage

La restauration du retable a permis de l'analyser d'un point de vue matériel et historique. Il apparait que l'ensemble a nécessité au minimum trois artisans : un ébéniste pour toute la structure en bois, un peintre pour le tableau du maître-autel et un peintre différent pour les paysages des panneaux peints. Ces derniers ont sans doute été réalisés en même temps que la structure du retable, tandis que le tableau du maître-autel, de qualité inférieure aux panneaux, a probablement été réalisé ultérieurement pour une raison inconnue.

L'origine du retable n'est pas connue, mais il est certain qu'il n'a pas été réalisé pour la chapelle Sainte-Anne de Sandrancourt. En effet, la dépose et la restauration de la structure ont permis d'établir que l'ensemble avait été modifié et arrangé pour convenir à son espace actuel. Plusieurs hypothèses peuvent être envisagées ; il pourrait par exemple provenir d'une autre chapelle, à proximité ? Cette piste est renforcée par la dédicace en partie supérieure qui indique "CHAPPELLE DE NOTRE DAME DE CONSOLATION". Aucune source ne permet toutefois de le confirmer à l'heure actuelle.

Le retable a été reposé dans la chapelle Sainte-Anne en octobre 2023. La restauration de ce mobilier permet non seulement de valoriser les lieux, mais aussi de mettre en lumière cet objet historique et le travail des artisans du passé qui ont œuvré à sa réalisation. De même que différents corps de métiers ont dû collaborer pour sa création, ce sont des restaurateurs de différentes spécialités qui ont travaillé à sa réhabilitation quelques siècles plus tard.

Le travail continue dans la chapelle de Sandrancourt : une intervention sur le bâtiment est prévue prochainement de manière à entretenir le monument lui-même !

Le retable de la chapelle Sainte-Anne après repose
Le retable de la chapelle Sainte-Anne après repose

©CD78, octobre 2023


Dossier suivi par Catherine Crnokrak, Helga Briantais-Rouyer (mobilier) et Francesco Guidoboni (monumental) pour le PSTP.

Article : Pamina Weité

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