Découverte du mois de Juillet 2022
Des peintures murales cachées dans l'église de Cernay-la-Ville
En 2020, une intervention engagée sur les boiseries de l’église Saint-Brice de Cernay-la-Ville a permis de révéler des vestiges de peintures murales datés du Moyen-Âge au XIXe siècle.
L’église Saint-Brice : un édifice chargé d’histoire
L’église Saint-Brice a connu plusieurs phases de constructions. Mentionnée dans le Pouillé de Notre-Dame de Paris dès 1202 (« Ecclesia de Sarnaïo de Donatione Episcopi »), elle est probablement fondée un peu plus tôt, entre le début du XIe siècle et la fin du XIIe siècle. Cette datation est attestée par plusieurs murs observés par les archéologues en 1994 et de nouveau exhumés dans le cadre d'un diagnostic archéologique en 2015. Les maçonneries en question sont réalisées en meulière locale, liée au mortier de chaux, et certains segments montrent un appareil en « arête de poisson » caractéristique du XIIe siècle. La faible importance de ces éléments ne permet pas pour autant de restituer le plan primitif de l’édifice.
Cette première église disparait lors de l'érection d'un nouvel édifice dans le courant du XIIIe-XIVe siècle. L'église montrait alors une nef couverte en lambris, avec deux bas-côtés, prolongée par un chœur. Endommagée pendant la guerre de Cent Ans, l'église est signalée en mauvais état en 1467 : elle est donc partiellement reconstruite entre le XVe et le XVIe siècle, en particulier la façade occidentale. Au nord, un clocher est ajouté, pourvu d'un escalier à vis en cage extérieure, qui lui donnera sa silhouette actuelle. Seul le bas-côté sud est reconstruit aux XVIe-XVIIe siècles. Le bas-côté nord, quant à lui, disparaît.
L’église Sainte-Brice est inscrite au titre des monuments historiques le 20 juin 1928. Elle a fait l’objet d’une restauration en 1983. D’importants travaux d’assainissement ont été engagés par la Commune de Cernay-la-Ville entre 2017 et 2020, financés par la Commune, la Direction Régionale des Affaires Culturelles (DRAC) et le Département des Yvelines.
Une découverte inattendue
Après de premiers travaux engagés sur l’église de Cernay-la-Ville, la commune a souhaité restaurer, avec l’aide du Département des Yvelines, l’ensemble des boiseries conservées dans le chœur de l’édifice et dans les deux chapelles adjacentes. Ces éléments datés de la fin du XIXe siècle sont constitués de trois retables (retable de la Vierge, retable saint Joseph et retable majeur), de trois autels et de lambris. Ils souffraient de l’humidité et d’une importante attaque d’insectes qui les a fragilisés et a engendré d’importants désordres structurels (fentes des bois, désolidarisation des assemblages…). Les bois ont été traités et consolidés, les assemblages repris et renforcés, les ornements décoratifs complétés et les ajouts disgracieux et non originaux remplacés. Cette intervention avait pour objectif de redonner une homogénéité à l’ensemble des boiseries du chœur tout en conservant au maximum l’existant, qui fait aujourd’hui le charme de l’édifice.
C’est à l’occasion de cette opération qu’ont été découverts, derrière les lambris, des vestiges de peinture murale. Une étude menée sur ces décors a permis de déterminer l’intérêt des peintures ainsi que pour évaluer leur ampleur et leur état de conservation. Cette étude, réalisée sur site du 28 au 30 janvier 2021 par deux restaurateurs spécialisés en peinture murale (Céline Maujaret-Guiné et Gilles Gaultier), a révélé que la plupart des vestiges cachés derrière les lambris étaient altérés, fragmentaires, mais également très hétérogènes avec des décors superposés. Au regard de ces éléments, une restauration générale n’a pu être raisonnablement envisagée : elle aurait impliqué, pour une parfaite lisibilité, une sélection des décors à restaurer mais aussi une dénaturation des boiseries anciennes, qu’il aurait fallu réaménager. Toutefois, les décors situés sur le mur sud de la chapelle de la Vierge et la face orientale du chœur, au-dessus des lambris, sont plus cohérents et mieux conservés, et pourraient, quant à eux, être dégagés et restaurés lors de futurs travaux sur les enduits intérieurs de l’église.
Les Décors
Lors de l’étude, c’est près de 18 zones de sondages qui ont été choisies pour mieux appréhender la chronologie des décors, en lien avec les phases de construction de l’église. Ces « fenêtres », pratiquées dans la peinture, ont ainsi permis de déterminer la présence d’au moins 5 campagnes de décoration :
- Un premier décor contemporain de la construction de l’église (vers 1200) ;
- Un second décor réalisé directement sur le premier au XIIIe ou au XIVe siècle ;
- Un 3ème décor contemporain de la construction du clocher (XVe ou XVIe siècle) ;
- Au moins 2 autres décors plus récents et qui ne subsistent qu’à l’état de traces.
Ces décorations ont pour la plupart été exécutées à la détrempe. Il s’agit d’une peinture dont les pigments sont liés par du jaune d'oeuf ou par des colles : colle de peau, de poisson, gomme arabique...
Parmi les différents motifs découverts, les décors les plus anciens sont ceux qui peuvent se dater le plus facilement, grâce à d’autres exemples retrouvés dans des édifices aux phases de construction bien connues. Le premier décor de Cernay est daté des environs de 1200. Il s’agit de « faux appareil » : des traits de peinture blanche sur un fond ocre jaune donnent l’illusion d’un mur de pierres de taille. Ces vestiges sont visibles sur la face orientale du chœur et de la chapelle de la Vierge, du sol jusqu’à la base des baies Ils sont délimités par un bande de rinceaux de qui se prolonge jusqu’au mur Sud de la chapelle de la Vierge. Ce premier décor est recouvert aux XIIIe-XIVe siècles par des motifs de chevrons et de fleurs tracés à l’ocre rouge. Ces motifs ornementaux, que l’on retrouve également dans la chapelle de la Vierge, suivent les traits du faux appareil en dessous. La datation est précisée par le motif de la fleur à 5 pétales dessiné à l’ocre rouge au centre des fausses pierres.
Des décors du XVe ou XVIe siècle, il subsiste notamment un décor végétal dans la partie centrale du chœur, de part et d’autre du tabernacle, probablement au-dessus de l’ancien autel. A ce dernier, il pourrait être associé la croix de consécration sur la droite de l’autel, ce qui serait en adéquation avec la consécration de plusieurs autels en 1556, citée par les sources anciennes. Dans un autre fragment de décor historié apparu lors du sondage, on devine le buste et le bras d’un personnage tenant un bâton. Il s’agit peut-être de saint Roch, représenté traditionnellement en pèlerin, muni d’une besace et d’un bâton. L’identification reste délicate néanmoins dans la mesure où très peu de peintures murales du saint, médecin et pèlerin, protecteur contre la peste, nous sont parvenues. En revanche, son culte est bien attesté dans les Yvelines à cette époque : on le retrouve ainsi à Bazemont, Cravent, Saint-Forget ou Gaillon-sur-Montcient. Outre son costume de pèlerin, il est le plus souvent figuré en compagnie d’un chien et d’un ange, et exhibe un bubon de pesteux à la cuisse. . Enfin, le premier décor végétal découvert derrière les boiseries pourrait être aussi associé à cette période de décoration. Le personnage est vêtu de manches à crevés laissant apparaître la chemise blanche. La mode en apparait au début de la Renaissance et perdure jusqu’au milieu du XVIIe sous des formes variables, tant sur des vêtements masculins que féminins, ce qui pourrait se rapporter (sans certitude) à cette date de 1556. Enfin, le premier décor végétal découvert derrière les boiseries pourrait être aussi associé à cette période de décoration.
Les derniers décors identifiés ont été exécutés entre le XVIe et le XIXe siècle : il s’agit d’une part de vestiges d’une litre funéraire (aussi appelée ruban ou ceinture de deuil) et d’autre part de bandes colorées ocre rouge et brune. Les litres funéraires servaient à attester des titres de seigneurie du commanditaire.
Cette litre funéraire devait vraisemblablement être associée à l’origine à des armoiries. Ces vestiges du XVIe ou du XVIIe siècle subsistent dans l’ensemble du chœur à la base des baies, sous la bande des rinceaux visibles sur le mur sud de la chapelle de la Vierge. Détériorées sans doute durant la période révolutionnaire, il n’en reste que quelques traces : seul le noir du bandeau se repère aujourd’hui notamment sur la pierre des culots et pilastres.
Les bandes colorées peuvent être observées sur le mur oriental du chœur, en superposition du décor végétal. Il n’est pas possible à ce stade de déterminer leur époque de réalisation, bien que de toutes évidences, cette dernière est antérieure à la mise en place des boiseries au XIXe siècle.
L’ensemble de ces décors a par la suite été recouvert de plusieurs badigeons successifs : un blanc et épais, un blanc cassé, un rose saumon, et un blanc gris, dernier badigeon visible actuellement.
Le petit nombre de décors muraux conservés en Ile-de-France rend les comparaisons délicates : ces décors ont le plus souvent disparu à l’occasion de travaux de réfection, d’agrandissement des édifices ou simplement quand ils se sont trouvés défraîchis ou « passés de mode ». Quand ils ne sont pas carrément décapés pour retrouver la pierre nue, ou piquetés, pour mieux faire adhérer un nouvel enduit, ils sont bien souvent recouverts par un nouveau décor, comme le montrent les différents sondages de l’église Saint-Brice. Ils attendent alors, cachés sous un badigeon ou sous des lambris, l’occasion de se révéler…
Dossier suivi par Cécile Garguelle, responsable du PSTP.
Etude réalisée par Céline Maujaret-Guiné et Gilles Gaultier, restaurateurs de peintures murales.
Sources : Service archéologique interdépartemental 78-92. Documentation rassemblée par Françoise Lefebvre et Gabrielle Riche.
Article : Pamina Weité
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