Archives départementales des Yvelines

Découverte du mois de Juin 2023

Un « labourage yvelinois » à la mairie des Bréviaires

La mairie des Bréviaires abrite entre ses murs un tableau de grand format qui ne manque pas d’attirer le regard. Il s’agit d’une scène de labour qui s’étend sur près de 3m de long. Réalisée par un peintre de renom, cette peinture possède une dimension locale : elle témoigne des pratiques agricoles du sud Yvelines au XIXe siècle.

Le Labourage, Benjamin Ulmann
Le Labourage, Benjamin Ulmann

Huile sur toile, faux cadre, XIXe siècle (entre 1875 et 1884), 155 x 296,5 cm - Mairie des Bréviaires. ©CD78, 2022

Le tableau a fait l’objet de recherches menées par le service du patrimoine de Rambouillet qui ont permis de l’identifier et la protéger. Une opération de restauration a été menée en 2022 avec l’aide du Département des Yvelines et l’expertise du pôle patrimoine.

Benjamin Ulmann, un peintre académique

La peinture est signée : en bas à droite de l’œuvre figure le nom du peintre, « B. Ulmann ». Bien qu’aujourd’hui tombé dans l’oubli, l’artiste n’est pas un inconnu. Benjamin Ulmann (1829-1884) est originaire de Blotzheim, dans le sud de l’Alsace. Il est encore enfant quand sa famille s’installe à Paris, en 1837. C’est à 20 ans passés qu’il décide de devenir peintre : il entre à l’école des Beaux-Arts et gagne le grand prix du concours du prix de Rome en 1859. Il poursuit une brillante carrière de peintre académique et bénéficie de nombreux achats et commandes de la part de l’Etat. Il se spécialise dans les scènes historiques mais peint également de nombreuses scènes de genre. Après la défaite française de 1870 et la perte de l’Alsace-Moselle, Benjamin Ulmann opte pour la nationalité française. Il est fait chevalier de la Légion d’honneur en 1872.

Une scène agricole moderne

Le tableau des Bréviaires représente une scène de labour, au début de l’automne. Les couleurs et la composition s’accordent au sujet et mettent en valeur le travail agricole. L’œuvre est construite en trois parties : la terre, le paysage en arrière-plan et le ciel. Elle s’étire dans la longueur et englobe toute l’action : le personnage à droite, le laboureur, manie une charrue tirée par deux paires de bœufs. Il fait claquer son fouet au-dessus de ses bêtes. Le mouvement du fouet suit la trajectoire des bêtes dans une diagonale qui débouche sur un point de fuite, à gauche de la composition. Le regard est placé à hauteur humaine, de manière à voir l’effort du travail de la terre. Les tons bruns et terreux du tableau accentuent ce rapport à la terre.

Le sujet n’est pas traité avec la même veine romantique que la plupart des scènes de genre de l’artiste. Il y a une sorte de solennité dans la représentation et une grande attention portée à l’action du travail agricole. Le choix d’un format important octroie à l’œuvre une dimension historique.

Le tableau après restauration
Le tableau après restauration

Atelier du pôle patrimoine. ©CD78, 2022

L’aspect technique moderne du travail est également présent dans l’œuvre. L’artiste a représenté un instrument identifiable : le laboureur du tableau mène une charrue de type « Pluchet ». Il s’agit d’une charrue mise au point en 1829 par Vincent Charlemagne Pluchet (1774-1837), agriculteur à Trappes et membre de la Société d'Agriculture de Seine-et-Oise. La charrue Pluchet restera localement en usage, sur le plateau de Trappes, jusqu’à l’apparition des tracteurs. La peinture de Benjamin Ulmann possède de fait un aspect documentaire : elle représente des techniques agricoles modernes du territoire yvelinois.

La restauration du tableau

La restauration du tableau a débuté en septembre 2022 et s’est achevée en avril 2023. Elle a été réalisée par les restaurateurs Sophie Lutet-Totti (pour la couche picturale) et Rémi Rabu (pour le support). L'opération s'est déroulée dans un premier temps dans l'atelier de Mme Lutet-Totti, puis dans l'atelier du pôle patrimoine (aux Archives départementales). Après plusieurs mois passés en atelier, le tableau a été réinstallé dans la mairie des Bréviaires. 

Le tableau à la mairie des Bréviaires, avant la restauration
Le tableau à la mairie des Bréviaires, avant la restauration

L’opération a été suivi par un vidéaste : découvrez les coulisses de la restauration !

Un ensemble décoratif pour le château de « Montlieu »

Une autre indication figure sur le tableau, sous la signature du peintre : le nom « Montlieu ». Il correspond au château de Montlieu, un domaine de 260 hectares aujourd’hui disparu, situé dans le canton de Rambouillet. Il s’agissait d’une propriété de la belle-famille de Benjamin Ulmann, la famille Dreyfus. Le domaine de Montlieu comprenait une ferme et des terres mises en location. Benjamin Ulmann a pu y séjourner et observer le travail agricole sur place. Cette indication, accompagnée des archives sur le peintre, a permis de dater le tableau entre 1875 et 1884.

Le retour des moutons au parc, Benjamin Ulmann
Le retour des moutons au parc, Benjamin Ulmann

L’œuvre fait partie d’un ensemble de quatre tableaux qui représentent la chaine opératoire de la production du blé. Les trois autres tableaux de cet ensemble sont conservés à Rambouillet. C’est Sarah Marcelle Ulmann, fille de Benjamin Ulmann et Eulalie Dreyfus, qui offrit les panneaux peints aux communes des Bréviaires et de Rambouillet.

Des lettres de ses amis et l’inventaire du château de Montlieu mentionnent les tableaux, sans doute encastrés dans les boiseries du salon. Cela correspond à un type de décor traditionnel des salles de réception de châteaux et grands domaines aristocratiques, où sont généralement fêtées la fin des moissons. Généralement, les scènes qui y sont représentées s’inspirent du cycle des saisons. L’originalité de l’ensemble peint par Benjamin Ulmann est la mise en scène moderne du travail agricole.

Les 4 tableaux ont été inscrits au titre des Monuments historiques en 2022. Les trois tableaux de Rambouillet sont visibles au palais du Roi de Rome, musée d’art et d’histoire de la ville.

Dossier suivi et documenté par Cécile Garguelle, responsable du PSTP

Recherches : Helga Briantais-Rouyer pour la commune de Rambouillet et Cécile Garguelle pour le PSTP.

Article : Pamina Weité

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