Découverte du mois de Mars 2023
Une bannière mystérieuse dans la collégiale de Mantes
Il y a dans la collégiale de Mantes-la-Jolie une élégante et mystérieuse bannière, simple de forme et de couleur. Elle ne porte pas de blessure particulière mais arbore toutefois les marques d’une certaine usure, l’éclat de ses couleurs effacé par la poussière et le temps passé. Sans prétention, l’objet pourrait passer inaperçu et n'est généralement pas visible du grand public. Personne ne se souvient de son histoire.
C’est bien là le sujet de cet article : pourrons-nous retracer le récit de cette bannière ? Nous vous livrons ici les pistes réunies à son sujet. Pour le reste, nous espérons pouvoir, avec votre contribution, continuer l’enquête.
Une bannière du début du XXe siècle ?
La bannière comporte deux inscriptions, « Servantes Chrétiennes » et « Mantes », et un motif peint au centre. Ce dernier représente le profil d’une sainte auréolée dans un cercle bleu bordé de jaune. Autour de ce médaillon central figurent des lys blancs et une colombe. Dans une banderole qui relie ces quatre images est écrit « La main au travail, le cœur à Dieu ». De l’autre côté de la bannière, il n’y a aucune inscription : il y est peint une croix couverte d’une gerbe de fleurs, des roses.
Le style du motif peint est de manière générale très décoratif et proche de l’illustration. La composition est fortement ornementale, sans arrière-plan et concentrée sur le motif. La construction géométrique et le traitement des différentes images en lignes sinueuses et cernées de noir rappellent l’art du vitrail, le japonisme et l’art nouveau. La lettrine gothique des inscriptions évoque la période médiévale, source d’inspiration récurrente de différents mouvements artistiques aux XIXe et début XXe siècles. Ces choix stylistiques et les influences artistiques qui en émanent permettent de situer la création de la bannière entre la toute fin du XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle.
Une représentation de sainte Zite, patronne des servantes
Comment reconnaitre la sainte représentée sur la bannière ? Bien qu’il y ait assez peu d’éléments distinctifs dans la représentation, l’inscription des « Servantes Chrétiennes » (une confrérie chrétienne dédiée aux domestiques) permet de restreindre les possibilités. En effet, seules quelques saintes sont associées aux servantes : sainte Zite (ou Zita), sainte Blandine ou sainte Marthe. Un autre indice figure sur la bannière : la maxime « La main au travail, le cœur à Dieu », qui est attachée à sainte Zite.
Sainte Zite est la patronne des servantes et femmes de charge, ainsi que de la ville de Lucques (Toscane, Italie), où elle vécut au XIIIe siècle. Modèle d’humilité, de douceur et de dévouement, elle incarne la servante chrétienne exemplaire, obéissante et fidèle, au service du même maitre toute sa vie. Plusieurs églises et chapelles lui sont consacrées en Italie, notamment dans la basilique San Frediano de Lucques où son corps momifié est exposé dans une châsse.
Aucun des attributs qui lui sont généralement attachés (un trousseau de clefs ou une cruche, liés à des épisodes miraculeux de la vie de la sainte) n’apparait sur la bannière. On trouve cependant des fleurs de lys, symbole marial de pureté et d’innocence, qui soulignent ici les vertus de la sainte. Ce pourrait être un clin d’œil au miracle du tablier de roses : il est raconté que sainte Zite, confrontée par son maitre alors qu’elle cachait dans son tablier des morceaux de pain pour les pauvres, lui affirma qu’elle portait des fleurs. Lorsqu’il voulut vérifier, il trouva en effet des fleurs, bien que ce soit l’hiver. Ce miracle se retrouve dans les légendes de plusieurs autres saintes (comme sainte Elisabeth du Portugal par exemple). Les roses qui apparaissent au revers peuvent également être associées à cet épisode, bien que ces dernières semblent davantage correspondre à une représentation christique.
Une histoire des domestiques de Mantes ?
Il est associé sur la bannière « Servantes Chrétiennes » et « Mantes ». Les sources n’ont pour l’heure pas permis de trouver des informations sur des Servantes Chrétiennes dans la ville de Mantes. Toutefois, plusieurs documents de la fin du XIXe siècle et début du XXe siècle font mention des « Servantes Chrétiennes » en France, notamment en région parisienne.
Les œuvres des Servantes Chrétiennes sont liées à l’histoire des migrations en France de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. Durant cette période, de nombreuses jeunes femmes de régions rurales (de Bretagne notamment) ou de l’étranger (d’Allemagne, Belgique, Suisse, Luxembourg, Italie, etc.) s’installent dans les grandes villes du pays, plus particulièrement en région parisienne, et y travaillent comme domestiques. Des associations et des œuvres chrétiennes s’organisent afin de mettre en place un réseau permettant d’accueillir et préserver les jeunes femmes des « tentations » de la vie à la ville. L’Association de Sainte-Zite pour les domestiques chrétiennes, créée en 1872 à Luxembourg et œuvrant notamment pour celles qui partent en service à Paris ou Bruxelles, en est un exemple. Ces structures servent également d’alternative aux bureaux de placement : c’est le cas par exemple à Marseille, autre grande ville d’immigration, où trois œuvres (dont celle des servantes chrétiennes) sont déclarées comme bureau de placement des domestiques en 1930.
Cette bannière est encore pleine de secrets. Nous ne savons rien des conditions de sa réalisation ni de son créateur. Quoique modeste, l’objet est visiblement un témoin significatif d’un pan de l’histoire de la ville de Mantes et, même au-delà, de celle de la France. Souvenir oublié de la condition des jeunes femmes arrivant en ville et travaillant comme servantes, la bannière attend patiemment que l’on redécouvre son histoire. Si vous avez des informations à son sujet ou sur les Servantes Chrétiennes de Mantes, n’hésitez pas à nous contacter !
Dossier suivi par Catherine Crnokrak.
Recherches : Françoise Lefebvre et Pamina Weité.
Article : Pamina Weité
En savoir plus :
Autour des domestiques chrétiennes en France et en Europe :
- Guerry, Linda. « Immigrer à Marseille et y travailler : parcours féminins dans l’entre-deux-guerres », Migrations Société, vol. 127, no. 1, 2010, pp. 59-72. (disponible en ligne sur Cairn)
- Müller, Christine. « Les domestiques luxembourgeoises à Paris du milieu du XIXe siècle au début du XXe siècle », Migrations Société, vol. 127, no. 1, 2010, pp. 73-86. (disponible en ligne sur Cairn)
Autour des Servantes Chrétiennes en France et Ile-de-France (fin XIXe - début XXe s) :
- "Revue du christianisme pratique", 1894, p. 250 (gallica) : un article traitant des « œuvres de patronage et de relèvement » rapporte l’existence d’un Foyer Chrétien situé avenue de Clichy « où l’on forme de jeunes servantes chrétiennes ».
- Journal "La Croix", numéro du 1er octobre 1937 (gallica) : un article consacrée aux Servantes Chrétiennes de France rapporte l'actualité de leur pélerinage et mentionne l'existence d'une revue publiée par leur association.
- Présentation de la revue "La Servante Chrétienne" (mise en ligne par la bibliothèque municipale de Lisieux) : une revue mensuelle « s’adressant aux personnes en service » intitulée La Servante Chrétienne, dont la première parution remonte à 1915.
- L'Abbé Soulange-Bodin par Monseigneur Chaptal Evêque d'Isionda, Paris, Librairie Bloud et Gay, 1926 (chp. 17, p. 62 - disponible sur le site associatif de l'église Notre Dame du Travail de Paris, 14e arr.) : une lettre d’une abonnée au Bulletin paroissial de Saint-Honoré d’Eylau (Paris, 16e) de 1916 indique qu'il s’agit d’une œuvre destinée à « protéger les femmes arrivant de la campagne à Paris ».