Découverte du mois d'Août 2023
À Beynes et à Goussonville, Saint Roch retrouve des couleurs
Les restaurations récentes d’une statue du XVIe siècle à Beynes et d’un tableau du XIXe à Goussonville sont l’occasion de retracer l’histoire du culte populaire dédié à saint Roch, … fêté le 16 août !
Un saint pèlerin antipesteux
Saint Roch est né vers 1350 et est mort vers 1380. Son existence semble aujourd’hui assez bien attestée, bien que sa légende possède plusieurs variantes. Son prénom est dérivé du francique hrock, une tunique courte portée au Moyen-âge notamment par les pèlerins, ce qui a donné rock, « jupe » en allemand moderne.
Originaire de Montpellier, Roch devient orphelin avant même d’avoir complètement atteint l’âge adulte. Il distribue la fortune familiale aux pauvres et aux hôpitaux et part en pèlerinage pour Rome.
Résurgence de la grande épidémie de 1348, la peste fait alors des ravages en Italie. Sans traitement, la peste bubonique est mortelle à près de 60%, tandis que la peste pulmonaire l’est à 100%. Roch tombe sur un premier foyer épidémique à Acquapedente, à une centaine de kilomètres au Nord de Rome, dans les Apennins. Il y réconforte les malades et effectue des guérisons à l’aide du signe de croix. Le recevant à son arrivée à Rome, le pape Urbain V se serait écrié en le voyant : « Toi... Il me semble que tu viens du Paradis ! ».
Sur le chemin du retour, Roch ressent les premiers symptômes de la peste à Plaisance, peu avant d’arriver à Milan. Un ange vient le visiter et l’avertir de ses souffrances à venir. Roch se retire alors dans une forêt pour ne pas devenir un vecteur de contagion. Un ange venu l’y rejoindre pour soigner son bubon y fait jaillir une source pour le désaltérer, et un chien lui apporte chaque jour un pain volé à la table de son maitre pour le nourrir. Guéri, Roch retourne soigner les malades, puis reprend sa route. Pris pour un espion du pape, il est arrêté sur les terres du duc de Milan et jeté en prison à Voghera. Son geôlier l’y trouvera mort, entouré d’une lumière surnaturelle.
Le culte à saint Roch
Roch mort, un culte local lui est rapidement rendu mais, en 1410, l’université de Montpellier requiert encore l’aide de saint Sébastien, traditionnellement invoqué contre la peste.
En 1437, le concile de Ferrare se voit menacé par une nouvelle vague épidémique et demande l’intercession du bienheureux pèlerin. Le culte du saint antipesteux est lancé. Ses reliques sont en partie transférées à Venise et les confréries placées sous son patronage se multiplient en Italie et en France. Il s’agit cependant avant tout d’un culte populaire et, si Roch est inscrit au martyrologue romain dès le XVe siècle, il faut attendre le XVIIe siècle pour qu’il soit canonisé. Son culte ne se répandra guère au-delà de l’Europe occidentale. Roch subit la concurrence de Charles Borromée (1538-1584), jésuite et cardinal-archevêque de Milan, qui fit preuve d’un dévouement exemplaire durant l’épidémie de 1576. Canonisé dès 1610, il est exalté par la Compagnie de Jésus et la papauté, tant pour sa charité que pour avoir mis en œuvre les réformes du concile de Trente. Alessandro Manzoni (1785-1873) dans son roman, Les fiancés, se déroulant durant la grande peste de Milan en 1629-1631, rend ainsi compte de la dévotion au saint évêque. En France, durant la dernière grande épidémie de peste, à Marseille en 1720, Monseigneur de Belsunce choisit lui de consacrer la ville au Sacré-Cœur de Jésus. Roch connaît cependant un regain de popularité lors des épidémies de choléra de 1832 et 1846. Le culte du saint antipesteux a par ailleurs survécu dans les campagnes où il est passé aux animaux et à la vigne. Il a longtemps été invoqué contre les maladies endémiques des bêtes et le phylloxera. Il est à noter que durant la pandémie de Covid-19 des prières à saint Sébastien et à saint Roch furent remises en usage par la piété populaire, le pape François préférant pour sa part invoquer l’intercession de la Vierge.
Dans les Yvelines, une soixantaine d’objets (tableaux, statues, bannières et bâtons de procession) témoignent de la dévotion à saint Roch depuis le XVIesiècle. Saint Roch y est parfois associé à saint Sébastien, comme dans une verrière datée de 1557 à Triel-sur-Seine. L’église Saint-Roch de Chanteloup-les-Vignes conserve l’objet le plus récent, une chasse reliquaire datée de 1848 et 1946 et portant une inscription en remerciement pour la libération des Allemands en 1944.
Une sculpture à Beynes
À Beynes, l’église paroissiale Saint-Martin conserve une statue en pierre polychrome haute de 80 cm, datée de la fin du XVIe siècle, figurant saint Roch accompagné de son ange infirmier et du chien venu le nourrir. Roch est muni d’un bourdon, le bâton du pèlerin, et coiffé d’un chapeau à large bord le protégeant des intempéries. Il arbore au revers de sa coiffure trois enseignes de pèlerinage – de petites images métalliques rapportées des sanctuaires - figurant pour l’une d’elles la fameuse coquille de Saint-Jacques de Compostelle, étant devenu le saint patron de tous les pèlerins. Par pudeur et selon l’usage, son bubon n’est pas figuré à l’aine mais sur sa cuisse.
Cette sculpture ne présentait pas d’altération structurelle inquiétante mais quelques manques : le nez du saint, le bord de son chapeau, le museau du chien, un peu du visage de l’ange, le dessus de son pied doit, etc. Des rougeurs, des traces de cire sur le socle, et des zones de repeints calcinés, étaient les signes évidents de la pose de cierges qui avaient altéré la surface. La polychromie présentait également de nombreux soulèvements, des craquelures et des lacunes. Et, si au moins 70% de la polychromie d’origine avait été conservée, la superposition de plusieurs repeints partiels rendait difficile la compréhension de l’œuvre.
Après dépoussiérage et consolidation des couches picturales, les repeints ont été dégagés. Il a été décidé de reconstruire uniquement les parties qui gênaient fortement la lecture de l’œuvre à l’aide d’un mortier à la chaux naturelle et poudre de pierre teintée dans la masse avec des pigments naturels. Les retouches ont ensuite été faites : retouches simulant l’usage naturel de la polychromie ou voiles colorés limitant le contraste entre la polychromie très vive et la pierre claire sur les vastes zones nues. Quand les lacunes étaient trop importantes, la pierre a été laissée apparente.
L’opération de restauration
Cette restauration a été effectuée par Barbara Donati sous la supervision de Cécile Garguelle, conservateur délégué des antiquités et objets d’art. Elle a permis de faire protéger cette œuvre au titre des Monuments historique.
Un tableau à Goussonville
Changement de technique et autre époque à Goussonville : l’œuvre restaurée est une peinture datée de 1832, conservée dans l’église Saint-Denis. Il s’agit d’un ex-voto puisqu’une dédicace accompagne la date peinte sur le cadre : À.St.ROCH.GOUSSONVILLE. Ce tableau fut offert par les Goussonvillois pour avoir été épargnés par l’épidémie de choléra de 1832.
Le choléra apparait pour la seconde fois en Inde vers 1829 mais gagne cette fois l’Europe puis le Nouveau Monde. Le premier cas est attesté à Paris le 26 mars 1832. L’épidémie disparait en France en septembre-octobre après avoir fait environ 100 000 victimes. En l’absence de traitement, le taux de mortalité est de 25 à 50%. En ville, ce sont les quartiers populeux et insalubres qui ont été les plus touchés. Victor Hugo, dans Les Misérables, ou Jean Giono, dans Le Hussard sur le toit, évoquent cette épidémie fulgurante.
Le choléra est une maladie proprement humaine, d’origine bactérienne, provoquant vomissements et diarrhées menant à la mort par déshydratation puis chute brutale de la circulation sanguine. La contamination est d’origine fécale et passe par la consommation de boissons ou d'aliments souillés. L’identification de la bactérie du choléra puis la compréhension des mécanismes de transmission de cette maladie joueront un rôle moteur dans les efforts réalisés à partir de la seconde moitié du XIXe siècle pour séparer les eaux propres des eaux usées, tant à la ville qu’à la campagne. Or Goussonville possédait déjà un lavoir en 1832, ce qui permettait aux habitants de ne pas laver leur linge directement dans une mare ou un étang. Ajouté à une faible densité de population, il est possible que cela ait contribué à les protéger.
L’artiste sollicité par les Goussonvillois s’est inspiré d’une grande peinture de Pierre-Paul Rubens (1577-1640), Saint Roch nommé par le Christ patron des pestiférés, peinte vers 1623 pour l’autel de la guilde des marchands de houblon et de blé dont saint Roch était le patron, dans la collégiale Saint-Martin d’Alost. L’œuvre de Rubens a beaucoup été diffusée par l’estampe. Le maître confiait en effet la transposition de ses tableaux à des graveurs de premier plan qu’il choisissait lui-même. Le Saint Roch nommé par le Christ patron des pestiférés a ainsi été gravé par Paulus Pontius (1603-1658). Bien que notre artiste n’ait certainement jamais vu l’œuvre originale, il a pris soin de remettre l’image à l’endroit – la technique de la gravure produit des images inversées -, sans pouvoir respecter les couleurs choisies par Rubens. Il a également réduit le nombre de personnages, faisant disparaitre le Christ, l’ange et deux des malades. Le chien est passé à la gauche du saint pour combler un vide. La composition reste cependant assez bien équilibrée, structurée par la présence d’un arc en pierre figurant peut-être une entrée du cloaca máxima, le grand égout de Rome. L’œuvre est de bonne facture.
Il s’agissait pourtant d’un objet très dégradé. La toile comportait de nombreux trous et déchirures ; le châssis et le cadre étaient vermoulus ; la couche picturale présentait de nombreux soulèvements et pertes de matière, ainsi que de nombreux repeints débordants. La toile détachée de son châssis, il s’est avéré que le format actuel n’était pas celui d’origine : la toile avait été découpée et réduite en largeur d’au moins quinze centimètres sur la gauche puisque la clef de voute de l’entrée d’égout devait être au centre. Elle a été aplanie, nettoyée, et doublée par rentoilage à la cire. La couche picturale a été nettoyée, les vieux vernis jaunis éliminés et les repeints dégagés. A ce stade, la peinture avait déjà retrouvé toute sa luminosité et son relief. Saint Roch était dans l’ensemble bien préservé, le visage intact. Le ciel de fond était très usé mais il a été décidé de ne pas être trop interventionniste en laissant un certain degré d’usure. Une grande lacune dans l’angle supérieur droit a été réintégrée de manière illusionniste en poursuivant le motif de nuages. Le bas du tableau était lui très lacunaire et a nécessité la reconstitution de certains motifs. Un nouveau cadre a été réalisé à l’identique, l’ancien étant trop vermoulu pour être sauvé.
L’opération de restauration
Cette restauration a été menée par Hélène et Jean Joyerot, sous la supervision de Catherine Crnokrak, conservateur des antiquités et objets d’art.
Dossiers suivis et documentés par Cécile Garguelle, Catherine Crnokrak et Helga-Briantais-Rouyer.
Article : Helga-Briantais-Rouyer.
En savoir plus :
Conservation curative de la gravure « Saint Roch et les pestiférés » (1628) de Paulus Pontius, site internet de la bibliothèque scientifique nationale de Belgique (KBR) : Saint Roch et les pestiférés • KBR. Il s’agit d’une reproduction du tableau de Rubens qui en a permis la diffusion.
« Jésus-Christ apparaissant à saint Roch » (1626) de Paulus Pontius, d’après Peter Paul Rubens, collections du Musée d’art et d’histoire de la Ville de Genève : Jésus-Christ apparaissant à saint Roch | Musées d'art et d'histoire de Genève (mahmah.ch)