Découverte du mois de Novembre 2022
« Je combats pour la France et sa liberté »
A Limay se trouve un objet mémoriel particulier. Il s’agit d’une toile brodée par un jeune résistant durant sa captivité à la prison de Fresne. Témoignage individuel puissant, la broderie possède également une valeur historique et commémorative d’intérêt national.
« Liberté, liberté chérie… »
L’histoire d’un jeune résistant
Abel-Louis Plisson (1921-1944) était un habitant de Limay. Tout jeune homme et encore mineur au début de la guerre, il est âgé de 21 ans et tout juste majeur lorsqu’il s’engage dans la résistance, en 1943. Il rejoint le réseau de résistance « BuckMaster » qui dépend des services secrets britanniques (SOE : Special Operations Executive) et est affilié au F.F.I. Dans le Mantois, ce groupe appartenait au réseau « Jean Marie » (Donkeyman) créé par Jacques Henri Frager (1897-1944). Infiltré par le service de renseignements allemand, l’Abwehr, le réseau fait l’objet d’une enquête de la police qui aboutira à l’arrestation d’un grand nombre de ses membres. Parmi eux, Abel Plisson, qui est arrêté le 19 novembre 1943 sur son lieu de travail, à Dennemont.
Incarcéré d’abord à la prison de Mantes-la-Jolie, il est transféré à la prison de Fresne en janvier 1944. Cette dernière est placée entièrement sous le contrôle de l’armée allemande depuis 1943 et est utilisée pour y emprisonner résistants et opposants durant l’occupation. Abel Plisson va y passer quelques mois de captivité au cours desquels il brodera en cachette une toile avec les moyens du bord. Jugé en mars 1944 pour « recel d’armes parachutées et sabotage matériel » par un tribunal militaire allemand (le tribunal de la Feldkommandantur de Saint-Cloud), il est condamné à mort. Il est conduit au Mont-Valérien, qui sert alors de lieu d’exécution, le 31 mars 1944 et y est fusillé. A ses côtés, Blaise Rigaud, jeune homme du même âge et camarade de Limay qui a rejoint la résistance en même temps que lui et qui connaît le même sort.
Un témoignage, un acte de résistance, une lettre
La broderie se déploie sur un tissu écru de forme rectangulaire de 57 x 45,5cm. Les fils utilisés sont des fils de laine de différentes couleurs : noir (majoritairement), violet, bleu et rouge. Abel Plisson s’est servi d’un sac à linge sur lequel il a brodé avec des fils prélevés sur sa couverture. Le point de broderie employé est un point de chaînette, excepté pour le motif du cœur qui a été réalisé au point lancé.
La broderie, quoique quelque peu maladroite, a été réalisée avec beaucoup d’attention ; son auteur a pris le soin de tracer préalablement au crayon certaines inscriptions et motifs.
Il est représenté différents éléments, à la fois personnels et patriotiques. Dans la partie supérieure, la toile est signée (« Plisson Abel ») et datée (« 1943-1944 »). Le lieu d’incarcération d’Abel Plisson est inscrit en grandes lettres : « PRISON DE FRESNES ». Quatre cœurs bordent cette inscription, dans lesquels figurent des prénoms : Madelaine/René, Andréa/Paul, Emile/Rose et Marcelle/Pierre. Il s’agit des membres de la famille du jeune résistant.
Au centre, la référence à la Marseillaise « Liberté liberté chérie » est inscrite en biais au-dessus d’un Arc de Triomphe. Sur ce dernier figure la devise de la France (« LIBERTE-EGALITE-FRATERNITE »), deux étoiles à cinq branches (brodées en fils bleu) et la phrase « Je combat (sic) pour la France et sa Liberté ». Sous l’Arc se trouve la flamme du soldat inconnu. De part et d’autre de l’Arc de Triomphe sont représentés deux éléments : un blason et une porte grillagée. Le blason est celui de la ville de Limay, dont Abel Plisson est originaire : un pont de trois arches surplombant un fleuve (la Seine), surmonté de trois fleurs de lys et couronné d’une forteresse à trois bastions. La porte est celle d’une cellule ; elle porte le numéro 17 (celle d’Abel Plisson) et renferme un cœur brodé de fils rouge, réalisé en relief au moyen d’un rembourrage de carton.
Cette toile est un objet mémoriel, chargé d’une histoire personnelle aussi bien que de la grande Histoire. Son auteur y a insufflé son cœur et sa détermination. Cet objet laissé par le jeune Abel Plisson est un récit, un acte de résistance et une dernière lettre.
La toile a été conservée et transmise par la famille d’Abel Plisson qui en a fait don à la commune de Limay en 2018.
Un objet commémoratif protégé et valorisé
Le Pôle Sauvegarde et Transmission des Patrimoines du Département des Yvelines est intervenu auprès de cet objet dans le cadre de la mission de conservation des Antiquités et Objets d’Art. Cette mission consiste à recenser, étudier, protéger et surveiller le patrimoine mobilier du territoire.
Une restauratrice spécialisée dans les textiles, Claire Beugnot, a été sollicitée afin d’établir un constat d’état de l’objet puis de le restaurer. La toile a été bien conservée. La restauration a été effectuée de manière à retirer des éléments pouvant causer des dégradations et à améliorer la présentation de la broderie. L’intervention est restée légère : il s’est agi de retirer les agrafes qui tenaient le tissu (en raison des risques de rouille et de la tension exercée sur la toile), atténuer les taches et dépoussiérer le tissu. La restauratrice a ensuite réalisé une présentation plus adéquate de manière à conserver la broderie dans de bonnes conditions et dans la durée : un support neutre pour la broderie, sans tension du tissu, et un nouveau cadre avec un verre de protection anti UV.
L’objet a été protégé au titre des Monuments historiques : inscrit en 2021, il fait actuellement l’objet d’une procédure de classement (protection la plus élevée), qui est en cours de finalisation.
La broderie d’Abel Plisson est visible à la médiathèque de Limay, où elle est désormais exposée.
Dossier suivi et documenté par Catherine Crnokrak.
Article : Pamina Weité