Découverte du mois de Mars
Il y a 20 ans : deux chefs d’œuvres sculptés de marbre feint trouvaient abri dans le dépôt des AOA
20 ans !
2024 marque le vingtième anniversaire du bâtiment des Archives départementales des Yvelines, qui accueille également le service Seine et Yvelines Archéologie et le Pôle Sauvegarde et Transmission des Patrimoines. Dès l’origine, cet édifice a été conçu pour rassembler les activités de ces trois services patrimoniaux et abriter les collections dont ils ont la charge. Côté Patrimoine, deux grandes spécificités : un laboratoire de restauration et le dépôt des Antiquités et Objets d’Art. Le laboratoire permet d’accueillir les très grands formats ou les œuvres particulièrement fragiles et le dépôt est gracieusement mis à disposition des communes pour abriter leurs œuvres durant des travaux.
Les « Découvertes du mois » vous proposent donc de remonter le temps pour découvrir des œuvres hébergées dans ces deux espaces au fil des années.
Il y a 20 ans, la commune de Magny-les-Hameaux restaurait son église paroissiale
Au début des années 2000, la commune de Magny-les-Hameaux se lançait dans la restauration de son église paroissiale, avec l’aide notamment du Département des Yvelines. Cette église gothique remontant au XIIe siècle est essentiellement connue pour sa collection de pierres tombales provenant de l’un des cimetières de l’abbaye de Port-Royal des Champs. Lorsque cette dernière fut détruite à la demande de Louis XIV afin d’éteindre le dernier foyer janséniste, en 1711, la paroisse de Magny acheta en effet quelques dalles funéraires qu’elle fit placer au sol dans l’église. Celles-ci furent ensuite relevées devant les murs, lors d’une première restauration de l’église entre 1860 et 1870. Près de 150 ans plus tard, un ensemble de travaux fut à nouveau entrepris, sous l’égide de Bernard Ruel, architecte du patrimoine. Il comprenait notamment la restauration du magnifique maître-autel, unique en son genre selon Philippe Luez, conservateur du musée national de Port-Royal. Ce maître-autel baroque, du moins les deux statues de saint, fut commandé par Jean Besson (1643-1703), curé de Magny-Lessart durant trente-deux ans, dont la pierre tombale se trouve dans l’église. Son épitaphe fait de lui un modèle de clerc, selon la Réforme catholique issue du Concile de Trente (1542-1563 :
Ici, Jean Besson, prêtre du diocèse d’Angers, attend la rédemption de son corps. Ce fut un pasteur très vigilant de cette église, homme remarquable par sa grande sagacité, cher à Dieu par la sainteté de sa vie, agréable aux hommes par la douceur de ses mœurs, scrutateur infatigable des Saintes Ecritures, fidèle disciple des Saint Pères, visiteur passionné de l’Antiquité, successeur préservant jalousement la discipline des premiers siècles. Ce fut moins un prédicateur sévère qu’un protecteur convaincu, économe envers lui-même, généreux envers les pauvres, il leur sacrifia tout ce qu’il possédait pour ensuite se sacrifier lui-même, en bon pasteur, pour les âmes de ses chères brebis. Il mourut le 7 avril de l’an du seigneur 1703, âgé de 60 ans. Qu’il repose en paix. Amen.
Le maître-autel de l’église Saint-Germain se compose d’un autel et d’un tabernacle en marbre des Pyrénées. La porte du tabernacle, en cuivre doré, s’orne d’un relief figurant le Christ étendu sur les genoux de Dieu le Père. En surplomb et contre le mur, un Agneau mystique en terre cuite est couché sur le livre des sept sceaux, entre deux anges en adoration. Ces derniers proviennent peut-être du maître-autel de Port-Royal. Derrière l’Agneau figurant le Christ, se trouvent l’inscription « Gloria Honor Bénédictio » [Gloire Honneur Bénédiction] et, au-dessus, une grande Gloire baroque avec la Trinité représentée sous la forme d’un triangle et entourée de sept chérubins. De part et d’autre de l’ensemble sont placées les deux grandes statues de saint Germain de Paris et saint Jean-Baptiste.
Les statues de saint Germain de Paris et saint Jean-Baptiste
Le choix de ces représentations s’explique naturellement par la dédicace de l’église à saint Germain de Paris (496-576). Né à Autun, ce dernier devint évêque de Paris sous le règne de Childebert Ieret fonda la future abbaye Saint-Germain-des-Prés. Quant à saint Jean-Baptiste, il s’agit du saint patron du commanditaire. L’un et l’autre rappellent l’importance de la prédication au XVIIe siècle. L’attitude du saint évêque, tout autant que celle du Précurseur, évoquent la prise de parole face au peuple.
Les gestes, la nervosité des drapés, le traitement des chevelures concourent à faire de ces deux sculptures, taillées dans le bois et peintes en faux-marbre blanc, des morceaux de bravoure. Dans un style assagi, elles ne sont pas sans rappeler les œuvres du grand Michel-Ange Slodtz (1705-1764) : Saint Bruno refusant les honneurs de l’épiscopat (Rome, église Saint-Pierre) ; Mausolée de Jean Baptiste Languet de Gergy, curé de Saint-Sulpice (Paris, église Saint-Sulpice).
Leur restauration, en 2004, permit de traiter le bois attaqué par des insectes xylophages et de dégager le faux-marbre d’origine, dissimulé sous un épais badigeon gris. Elles furent ensuite mises à l’abris dans le dépôt en attendant la fin de la restauration de l’église et leur repose en 2008.
Le « marbre feint » aux XVIIe et XVIIIe siècles
Leur peinture en faux-marbre blanc fait de ces deux sculptures des témoignages rares et précieux du goût pour le « marbre feint » aux XVIIe et XVIIIe siècles. Si cette technique était principalement, utilisée en décor d’architecture, elle pouvait l’être également pour des meubles, mais aussi pour des sculptures. Ainsi, Léon-Pascal Glain, peintre de portraits de l’Académie de Florence, présenta au Salon de 1774 le portrait en buste de Louis XVI dauphin, en imitation de marbre.
« Les recueils traitant de cette technique insistent beaucoup sur la préparation de la surface, démontrant ainsi que mal apprêtée, le marbre feint serait plus grossier et plus friable. Le support devait être blanchi « avec de la craie blanche, broyée sur du marbre avec de l’eau claire ». De la colle de peau était ajoutée à cette préparation. Une fois appliquée au pinceau sur la surface, de l’albâtre et des coquilles d’œufs étaient pilés sur le marbre et mélangés avec de l’eau et de la colle de peau. Il fallait « que cette couche de coque d’œuf soit liquide » pour pouvoir être étalée facilement. Le support pouvait également être recouvert de deux ou trois couches de colle de poisson. Une fois sèches, « plusieurs couches de blanc », mêlées à du vernis de landaracet à du mastic (de la poix), étaient passées. La réussite de la marbrure dépend également de la brunissure de la surface. Pour parvenir à un tel résultat, il fallait, « après avoir recouvert le bois avec deux couches de plâtre ou d’argile blanche fondus dans la colle de lapin, après l’avoir poncé, il faut encore le brunir avec une dent de loup ou une pierre d’agathe que l’on frotte de temps à autre sur un morceau de savon blanc ». Cette opération était répétée après application de la marbrure. Une fois le support préparé, la réalisation de la marbrure sur bois est à peu près semblable à celle sur mur. Deux ou trois couches de peintures suffisaient pour imiter les marbres, à l’exception de l’agate et du jaspe. […] Cette méthode consistait simplement à marbrer et jasper le bois, et non pas à faire une imitation fidèle d’un marbre précis. » (Sabine Allouche, Le « marbre feint » aux XVIIe et XVIIIesiècles)
Aujourd’hui, le faux-marbre est une technique de peinture à l’huile, réalisée ordinairement en deux ou trois étapes : réalisation d’un fond uni (fond noir, fond blanc, fond jaune) ; placement de la composition du marbre, c’est-à-dire des lignes de force, en variant les outils de peinture ; travail avec des glacis pour apporter des profondeurs et des transparences au marbre. Les peintres décorateurs ont des pinceaux différents des artistes peintres et chaque pinceau porte un nom, a un usage, et produit un effet différent. Certains sont difficiles à maîtriser et apportent des accidents à la composition, et ainsi de la variété, de la dynamique. (Entretien avec le peintre-décorateur Pierre-Yves Morel)
À partir du XVIIe siècle, les artistes peintres et les peintres en décors, rattachés aux peintres en bâtiments, se séparèrent. Les premiers furent réunis aux sculpteurs et furent placés sous le patronage du directeur général des Bâtiments du roi. Ils formaient l’Académie royale de peinture et de sculpture. Les autres ne firent que des travaux qui concernaient le bâtiment, et se regroupèrent au sein de l’Académie de Saint-Luc, créée le 17 novembre 1705. Elle était destinée à former au dessin d’après modèle les artisans et les peintres d’impression, en bâtiment, ornemanistes et tous les autres qui ne pouvaient entrer à l’Académie royale. Il est difficile, néanmoins, de déterminer précisément la profession des artistes qui exécutaient ces décors feints. Il semble qu’à cette époque, les ébénistes, les peintres, et même les doreurs pratiquèrent souvent la peinture de marbre.
Les statues de saint Germain et saint Jean-Baptiste de Magny-les-Hameaux sont l’œuvre d’un artiste ou d’artistes particulièrement doués, ce qui leur valut un Classement au titre des Monuments historiques dès 1914.
Restauration supervisée par Serge Pitiot, conservateur régional des Monuments historiques, et réalisée par Christian Karouzos, restaurateur.
Transports et repose effectués par LP Art, sous la supervision de Cécile Garguelle, responsable du Pôle Sauvegarde et Transmission des Patrimoines
Pour en savoir davantage, consultez le site internet de la commune de Magny-les-Hameaux. Des visites de l’église sont possibles à la belle saison.
Bibliographie :
« Cy-gist. Port-Royal des Champs. Magny-les-Hameaux », Yvelines Editions, 2010
Article : Helga Briantais Rouyer